Présentation de l’ouvrage collectif Nabile Farès. Un Passager entre la lettre et la parole
Par La Plume Francophone
Nabile Farès nous a quittés le 30 août 2016. Pour lui rendre hommage et pour offrir au public une lecture de son œuvre riche d’une vingtaine de livres et de plusieurs créations destinées à la mise en scène, Beida Chikhi, Karima Lazali et Ali Chibani ont proposé de rassembler les textes de celles et ceux qui l’ont connu et qui connaissent son œuvre dans un ouvrage collectif qui vient de paraître chez Koukou Éditions à Alger, sous le titre de Nabile Farès. Un Passager entre la lettre et la parole[1]. Ce titre fait clairement référence à son deuxième roman, Un Passager de l’Occident, et rappelle le travail subjectif effectué par Nabile Farès dans et par le texte ainsi que la quête d’une relation saine avec l’Autre.
Les contributrices et contributeurs sont au nombre de dix-neuf. Leurs textes nous permettent d’entrer dans l’intégralité l’œuvre écrite de Nabile Farès puisque tous ses livres sont cités dans des perspectives différentes. Dans un premier chapitre intitulé « Dans le champ » et qui s’intéresse notamment à l’usage que fait Nabile Farès des symboles et mythe berbères, Zineb Ali-Benali évoque le mythe de l’Ogresse que l’auteur exploite particulièrement dans sa trilogie intitulée Découverte du Nouveau monde et dans sa thèse publiée sous le titre de L’Ogresse dans la littérature berbère. Charles Bonn, pour sa part, revient sur l’intensité du moment vécu et sur l’intensité de l’expérience de la parole chez Nabile Farès qu’il considère comme l’un des auteurs les plus novateurs de la littérature maghrébine même s’il a souffert d’une certaine marginalisation. C’est à l’originalité de l’écriture de Nabile Farès que s’intéresse Ali Chibani dans un article intitulé « Peur, style et vérité. Nabile Farès et la quête d’une autre vie ». On y voit de quelle manière les traumatismes vécus et les peurs héritées par Nabile Farès l’engagent à inventer une forme d’écriture personnelle pour
rendre compte de soi, avec ses stigmates qui sont aussi inscrites dans l’espace du monde. Cela se fait dans un langage transgressif qui respecte néanmoins la liberté du lecteur à le lire dans un rythme qui lui est propre. Cette compréhension suit le cheminement d’interrogations multiples qui ont pour but de guider le lecteur à la vérité grâce à un langage littéraire enraciné dans la terre et qui est aux frontières du langage réel où la vérité s’est perdue.
Ensuite, c’est autour d’Anne Schneider de parler de l’originalité de Nabile Farès comme, cette fois, auteur pédagogue intéressé par la transmission. Rappelons ici qu’en plus d’avoir enseigné dans plusieurs universités (Alger, Paris, Grenoble…), Nabile Farès a eu à travailler au sein de la CIMADE avec des enfants à Marseille. Une expérience dont il s’est toujours souvenu avec une fierté et un bonheur non dissimulés.
Le second chapitre de cet ouvrage collectif est consacré au passage de Nabile Farès de l’espace littéraire à l’espace philosophique, de la cause algérienne à la cause noire aux Etats-Unis. Réda Bensmaïa s’attarde avec passion et finesse sur la rencontre idéelle de Nabile Farès avec Gilles Deleuze, quand Valérie Orlando et Fazia Aïtel reviennent sur la rencontre et l’amitié de l’auteur de Yahia pas de chance avec James Baldwin, deux écrivains en errance dans un monde tourmenté. Cette rencontre, qui a eu lieu après que le magazine Jeune Afrique avait demandé à Farès d’interviewer l’auteur américain occupe une large partie du Passager de l’Occident où l’auteur algérien compare les méfaits de la colonisation en Algérie avec les méfaits de la négrophobie aux États-Unis. Ancré dans la colonisation aussi, le texte de Marjorie Jung, autrice d’une thèse intitulée La figure de l’homme nouveau dans l’œuvre de Frantz Fanon, analyse les manifestations du « refus du refus de l’Autre » dans l’œuvre des deux hommes, avant que Priska Degras ne réunisse Aimé Césaire et Nabile Farès en tant que figures de la lutte « contre la permanence du malheur colonial ».
On connaît l’aisance avec laquelle Farès sollicite les yeux, l’ouïe, le toucher pour rendre compte d’une double expérience du langage entre la voix et l’écrit. Cependant la technique du scénario, l’image-mouvement, l’image-temps, la bande-son, sont bien plus compliquées à réaliser que les jeux graphiques qu’il affectionne. Il se voit alors contraint de faire appel à l’objet emblématique de la ville pour tenter de saisir la technique ancienne de ses artisans.
Ce propos de Beida Chikhi qui s’intéresse à l’écriture du Miroir de Cordoue inaugure la troisième partie de l’ouvrage collectif où l’on peut entrer dans les collaborations de Nabile Farès avec les dessinateurs Kamel Khélif et Kamel Yahiaoui dans le cadre de la réalisation de deux bandes dessinées La petite Arabe qui aimait la chaise de Van Gogh dont la genèse nous est racontée par Kamel Yahiaoui même, et La jeune femme et la mort présentée par Karine Chevalier qui se souvient aussi de celui qui a été son enseignant : « Improvisant, selon ses inspirations et ses humeurs du moment, des interprétations de ces textes étudiés, Farès a su nous insuffler, à moi et à quelques autres étudiants de Grenoble entre autres, le sens de la recherche du cœur plutôt que de la certitude d’une connaissance apprise de mémoire. »
A travers ces textes, on aborde aussi la réflexion de Nabile Farès sur des thèmes aussi variés que liés comme l’exil, la féminité et la guerre des années 90 en Algérie. « Sa démarche, écrit la psychologue Nassima Metahri, ne vise pas au recouvrement ni au seul soutien, elle encourage à se rapprocher du lieu du préjudice traumatique, celui de l’abîme et précautionneusement, avec ses mots, ses métaphores, il tisse une toile qui aide à franchir cette zone pour mieux l’explorer et ré émerger enfin. » Avis que partage la psychanalyste Karima Lazali qui propose une lecture des « textes farésiens à partir des traits de séparations internes aux textes, tels qu’ils se tracent sans pouvoir s’écrire. Là où la lettre se donne tantôt dans sa mutité, aveugle à sa lecture, et tantôt chant interdit à sa propre écriture. […] L’écriture particulière de Nabile Farès rend plus que toute autre écriture envisageable une littéralité de l’inconscient dans et par la littérature. »
Intitulée « Mémoires et conversations », la dernière partie est réservée aux témoignages d’amis qui évoquent leurs échanges avec Nabile Farès. L’universitaire Marc Quaghebeur, le traducteur Peter Thompson, les psychanalystes Flavia Buzetta et Alessandra Guerra, ainsi que la réalisatrice Habiba Djahnine font revivre Nabile Farès à travers leurs souvenirs et leurs entretiens dont un échange inédit.
[1] Beida Chikhi, Ali Chibani, Karima Lazali (dir), Nabile Farès. Un passager entre la lettre et la parole, Alger, Koukou éditions, 2019.
Bonjour,Je suis un ancien doctorant de Nabil Farès qui a dirigé ma thèse NR à Grenoble de 2000 à 2002. J’aurais vivement souhaité collaborer au projet… Comment faire pour obtenir une copie de l’ouvrage ?Merci de me répondre.Cordialement
ProfessorPierre Fandio
Specialistin African & Comparative Literature; French Studies and Speech Analysis // HDR: 7et 9e Sections du CNU & Qualification Professeur: 10eSection du CNU
Vice-Deanin Charge of Research and Cooperation //Vice-Doyen en Charge de la Recherche et de la Coopération
Post-GraduateCoordinator // Responsable de l’Unité de Formation Doctorale, FA
Directorof GRIAD Research Team // Directeur du Groupe de Recherche surl’Imaginaire de l’Afrique et de la Diaspora
University of Buea // Universitéde Buea
Web Page: http://www.ubuea.cm/researchprofile-pierrefandio/
Bonjour,
Je vous réponds par mail.
Cordialement
Ali Chibani