Le Petit Terroriste d’Omar Youssef Souleimane
Par Valérie Nehmé
« Il n’existe point d’hommes dont les tourments n’ont révélé les profondeurs de leurs âmes. »
Syrie, 2011. Omar Youssef Souleimane, alors correspondant pour la presse syrienne entre 2006 et 2010, se voit contraint de fuir son pays après avoir participé aux manifestions de Damas et Homs. Il vivra un temps en Jordanie avant de s’exiler en France en 2012 après avoir demandé l’asile politique.
Il avait alors 25 ans.
Sa vie pouvait enfin commencer, en tant que journaliste, poète et écrivain.
Le Petit Terroriste, paru aux éditions Flammarion en 2018, est son premier récit autobiographique
La Syrie, l’Arabie Saoudite, Aragon et Éluard
Hier c’était la Syrie où rien ne semblait présager l’innommable. C’était l’enfance d’un petit garçon, comme tant d’autres, né dans un village du nord où le Salafisme faisait foi, où le peuple ne résonnait que par la religion et où les libertés n’étaient que rêves, pour certains. Ce petit garçon c’est Omar Youssef Souleimane, apprenti terroriste, ayant vécu entre la Syrie et l’Arabie Saoudite, épris d’Éluard et d’Aragon et qui verra son monde bouleversé grâce à la découverte de leurs œuvres et leurs libertés.
Né dans une famille ultra-religieuse au nord de la Syrie, Omar Youssef Souleimane ne connait de sa religion que son extrême radicalité. Pourtant, celui qui, voué à devenir terroriste, deviendra un jour poète avec pour seule religion, sa liberté.
De son enfance syrienne, ce fils de dentistes, s’exilera une première fois en Arabie-Saoudite où il « pleurera de nostalgie ». D’une petite ville du Nord de la Syrie gangrenée par le Salafisme, il rencontrera le « Pays de l’Islam » à son adolescence. Deux mondes, deux cultures, une langue, une religion, le sacrifice de soi, la découverte de soi et ses propres libertés, encore enfouies. Il fera face au racisme quotidiennement car Syrien à « la couleur de peau plus pâle que les autres, aux mains de soie et pédé » … La haine de l’autre n’est guère cachée, malgré une seule et même religion.
La Syrie, est loin derrière, et pourtant si proche intérieurement. Suite au conflit né en 2011, plus de 12 millions de citoyens se sont déplacés et dispersés entre l’étranger et les pays limitrophes, faisant d’eux des exilés de leurs temps. Certains mourront dans la plus grande indifférence tandis que d’autres survivront sans trop savoir pourquoi. La peine au corps et au cœur, la peur de la perdition et de l’oubli…
Et puis il y a religion et religion. Celle de l’extrémisme, et celle de la foi.
Le goût des autres
De ses souvenirs syriens, lui reviennent celui de la découverte de son corps et de sa sexualité, le goût de l’autre et plus précisément celui de la femme et de son parfum, à l’âge de 8 ans, puis dix ans, puis douze ans. Le corps transpire, danse, « halète » jusqu’au souffle divin qui provoquera l’exquise extase en même temps qu’une confusion extrême. Omar devint homme et devrait se purifier chaque fois que cela arriverait. Et pourtant…
Peu à peu, Omar découvre le côté sombre et trouble de l’Arabie Saoudite. Mais il est encore trop jeune. Son exil du moment, c’était la religion. C’était le Salafisme, une branche de l’Islam. Sa vie ne résonnait que par la religion. Point d’autres issues, sauf celles des actes et des pensées extrêmes.
Les corps se perdent dans la foule. Les prières ne sont qu’excuses et faux refuges. Les âmes se brisent. La douceur n’est que chimère. « Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah et Mohammed est son Messager ».
De ses parents, ne résulteront que la tendresse de sa mère, et la dureté de son père. Son frère aîné est son rempart, son confident, quelque peu, dans un pays qu’il souhaiterait voir « englouti par les sables ». C’est alors que lui revenait souvent en mémoire l’autre civilisation, la sienne. Celle d’une civilisation riche de dix mille ans d’existence. Celle des couchers de soleil et des parfums, celle des rues passantes et des odeurs de jasmin… celle de la poésie arabe ancienne. Jusqu’à se réveiller en pleine péninsule arabique avec pour seules libertés, la lecture et l’étude du Coran, les prières quotidiennes et les lectures d’œuvres « politiquement » religieuses, la plupart écrites par des Salafistes.
Poésie, religion et radicalité
Mais le temps passe et les saisons se suivent. Omar reçoit de sa tante en Syrie, des œuvres interdites en Arabie Saoudite, que son père, malgré ses croyances extrêmes, l’encourage à lire, tout en restant prudent. Ces livres sont de ceux de Gibran Khalil Gibran, célèbre poète libanais et auteur du « Prophète », les poèmes d’amour de Paul Éluard et « Le Fou d’Elsa » de Louis Aragon.
Ces derniers nourriront sa réflexion, et seront en quelque sorte, son nouveau refuge. Mais c’est encore trop tôt. La religion est encore fortement présente.
Et puis vint le petit dernier de la fratrie qui adoucira leur foyer. La raison fît foi. Les rires et les pleurs balayèrent l’étude du Coran.
Et puis ce fameux 11 Septembre 2001. L’explosion soudaine qui a plongé une partie du monde dans la douleur et une autre dans la joie. C’est la montée du Djihad. C’est alors que le régime de Ryad en Arabie Saoudite retira la nationalité saoudienne à Oussama Ben Laden et par la suite que le conseil de la Fatwa décida de condamner le Djihad contre les États-Unis.
Un monde nouveau se dessine alors.
Omar manque de peu le soi-disant Paradis promis par tous les religieux et les politiques. Son appendice faillit exploser. Mais ce n’était pas écrit. D’autres souvenirs devaient se construire et se dessiner sur son corps.
Mais la confusion se profilera jour après jour jusqu’au retour de la « foi extrême ». Le petit Omar, pour se distinguer de son oncle qui se faisait appeler le grand Omar, se fera désormais appeler « Le Petit Terroriste », en signe de sa « découverte de la vraie religion ».
Le Salut
C’est le temps du Djihad, de son apprentissage et de son existence. « Il n’y a de Dieu qu’Allah ». Devenir un homme libre était son seul désir, car en tant que Syrien, Omar ainsi que sa famille étaient considérés comme des « humains de seconde classe » en terre d’Islam. Les cours religieux, les prières, les versets, les croyances radicales, le coran devinrent son quotidien jusqu’au pèlerinage à la Mecque.
Mais tout n’a qu’un temps. Un temps limité. Le doute s’installe et le salut se profile et se précise peu à peu. Il fallait retrouver le chemin, et pour « progresser dans la vie » selon les dires d’Omar, la religion n’avait plus vraiment sa place, et surtout ne devrait plus faire place dans les ministères sauf dans les mosquées.
Sa seule religion sera désormais celle des littératures et des poésies françaises, jusqu’au départ définitif d’Arabie Saoudite, puis son retour en Syrie, avant de connaitre à nouveau l’exil en 2012 en France, où il découvrira sa deuxième langue, le français.
« Sans Dieu, c’est comme si désormais, ma vie était pleine ».
Le temps des libertés, des poésies, des littératures et de l’espoir est venu.
« Dans le flot des mirages
Le bateau a coulé
Seules les mouettes ont emmené le pays avec elle »
Le Petit Terroriste d’Omar Youssef Souleimane
Edition Flammarion, 2018
Photographie ©Juliette Paulet
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Syrie, 2011. Omar Youssef Souleimane, alors correspondant pour la presse syrienne entre 2006 et 2010, se voit contraint de fuir son pays après avoir participé aux manifestions de Damas et Homs. Il vivra un temps en Jordanie avant de s’exiler en France en 2012 après avoir demandé l’asile politique.
Il avait alors 25 ans.
Sa vie pouvait enfin commencer, en tant que journaliste, poète et écrivain.
Le Petit Terroriste, paru aux éditions Flammarion en 2018, est son premier récit autobiographique