2019, retour de l’espérance en Algérie
par Ali Chibani
Le sociologue et anthropologue de la santé, Mohamed Mebtoul compte parmi les premiers scientifiques à publier un ouvrage dédié au hirak, ces manifestations qui ont secoué l’Algérie pendant près d’une année, avant d’être interrompues par la pandémie de la Covid-19.
Le désir de dignité
Etayé par une bibliographie riche et diversifiée, s’appuyant sur des observations de terrain, Libertés, dignité, algérianité. Avant et pendant le « Hirak »[1] a connu deux éditions. La première a eu lieu en Algérie, chez Koukou Editions ; la seconde vient de sortir chez L’Harmattan en France. Celle-ci est enrichie « d’articles qui décryptent le « Hirak » durant ces six derniers mois, jusqu’à sa suspension le 20 mars 2020… » (p. 9). Dans cet ouvrage, Mohamed Mebtoul, qui emploie parfois le « nous » du témoin-acteur du mouvement analysé, fait sienne « l’option d’une épistémologie de la proximité vis-à-vis du mouvement social algérien. Il [lui] semblait difficile de [se] positionner en surplomb par rapport à ce mouvement pacifique et inédit dans l’histoire politique, en Algérie et dans le monde. » (p. 26).
Dans son étude, Mohamed Mebtoul oppose l’insurrection citoyenne et la nouvelle dynamique politique qu’elle a initiée dans l’espace public à l’incivisme et à la violence du politique. Le sociologue remonte l’histoire de l’Algérie et montre comment la dictature en place depuis l’indépendance a pu se maintenir pendant 60 ans en créant « l’illusion de tout contrôler » pendant qu’elle favorise « le statut quo [qui] s’oppose à la citoyenneté. » (p. 242). La « violence du politique » s’est incrustée « dans les différentes institutions nationales et locales », généralisant le sentiment de « honte » au sein de la société algérienne.
Ce sentiment atteint son paroxysme avec l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, très malade, à un cinquième mandat. Va alors s’exprimer le « désir de dignité, de liberté et de citoyenneté » chez les Algérien.ne.s engagé.e.s dans un mouvement social inédit dans l’histoire mondiale. On l’aura compris, Mohamed Mebtoul donne une importance capitale à l’affect dans la naissance du mouvement social qu’il analyse et que certains observateurs ont surnommé « la révolution du sourire ».
Le sociologue a divisé son livre en cinq parties, allant de l’avant-Hirak à l’espérance qu’il suscite pour l’avenir de l’Algérie. Dans les trois parties consacrées au déroulement du Hirak, Mebtoul s’intéresse au langage des manifestants et à leur créativité qui crée « un patrimoine politique » (p. 161) et qui révèle la « cohésion sociale » dont ils sont les initiateurs, à l’encontre des projets de division portés par les autorités politiques. L’auteur s’attarde également sur la valeur du port des drapeaux par les jeunes Algérien.ne.s qui veulent « briser les chaînes de [leur] instrumentalisation plurielle (historique, politique et culturelle) » (p. 149) et dont les slogans sont de véritables « ressources politiques » (p. 248).
« Produire de la société pour vivre »
Quand Mebtoul écrit : « Le mouvement social a réussi à redonner de l’espérance à la majorité de la population en un temps très court » (p. 104), il souligne l’un des effets les plus inattendus du hirak sur la vie des Algérien.ne.s.
Ces vingt dernières années ont défait tous les espoirs politiques en Algérie. Le jeu semblait définitivement fermé par un clan au pouvoir, animé par la famille Bouteflika et soutenu par l’armée. L’humiliation du peuple algérien était constante par les affairistes et les corrompus en tout genre qui n’hésitaient pas à ridiculiser toute contestation de leur appétit démesuré. On se souvient de l’ancien premier ministre désormais en prison, Ahmed Ouyahia, qui suggérait au consommateur de se priver de yaourts pour qu’il surmonte la faiblesse de son pouvoir d’achat. Le même homme expliquait sa longévité au pouvoir (trente ans en tant que ministre, premier ministre ou conseiller du président) : « Affame ton chien et il te suivra. » Le chien, c’est bien sûr le peuple.
Le « hirak » constitue donc une ouverture sur l’espérance de changer le régime politique pour cesser de « vivre en société » au lieu de produire « de la société pour vivre » (p. 253). Les analyses et réflexions de scientifiques de l’envergure de Mohamed Mebtoul aident à donner un sens aux multiples informations qui émergent des différentes composantes d’une manifestation originale dont les attentes sont multiples dans une société où les divergences politiques ne manquent pas. Nous pouvons même considérer que Liberté, dignité, algérianité participe à l’écriture d’un nouveau projet politique algérien.
[1] Paris, L’Harmattan, 2020.
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