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Cinéma

Laurent Cantet, Entre les murs – Guillaume Sylvestre, Secondaire V

La classe cosmopolite comme scénario du vivre-ensemble dans le monde éducatif : le cas d’Entre les murs de Laurent Cantet et de Secondaire V de Guillaume Sylvestre

Par Hanen ALLOUCH

 

Dans le film français Entre les murs de Laurent Cantet et dans le film québécois Secondaire V de Guillaume Sylvestre, réunir les diversités dans la salle de classe constitue une sortie des sentiers battus d’une scène éducative harmonieuse. Ces deux films posent la question de la nuance entre l’assimilation en tant qu’impératif (néo)colonial et l’intégration comme stratégie de vivre-ensemble dans le respect de la différence. Les représentations littéraires et cinématographiques d’une classe où la conflictualité fait partie de la vie scolaire permet de poser un regard critique et réformateur sur l’école. En effet, ces fictions incitent à restructurer les bios éducatifs, en tant que « formes de vies » menées dans le milieu éducatif, tout en soulevant les problèmes de fond et en abolissant les frontières entre la salle de classe et le monde auquel elle appartient. Dans le choix du vivre-ensemble comme pratique quotidienne dans une société interculturelle, il y a d’abord une évacuation de la relation artificielle selon laquelle les élèves seraient égaux et uniformisés, une fois franchi le seuil de la porte de l’établissement éducatif.

Dans le chapitre « Patriotisme et cosmopolitisme » de Pour l’amour d’un pays (1996), Martha Nussbaum remonte à la naissance du concept de cosmopolitisme avec Diogène de Sinope qui se définit en tant que citoyen du monde et par la suite, elle réinscrit son cosmopolitisme dans le contexte étasunien contemporain. L’apport de Nussbaum consiste à interroger le rapport entre la citoyenneté du monde et les particularités des expériences locales, au cœur d’un débat entre cosmopolitisme et éducation. Elle aborde la question de l’éducation cosmopolite qu’elle propose comme un projet d’avenir :

En politique et en éducation, les partisans du nationalisme laissent peu d’espace au cosmopolitisme. Par exemple, ils peuvent argumenter qu’en général, même si les nations doivent baser le débat de l’éducation et de la politique sur les valeurs nationales partagées, un engagement en faveur des droits humains fondamentaux devrait faire partie de tout système d’éducation nationale, et que cet engagement pourrait en un sens rassembler des nations[1].

La négociation culturelle qui prend place à l’école dans le cadre de classes cosmopolites semble ne pas avoir résolu le problème de la décolonisation. En même temps, l’interculturalité pratiquée dans de telles situations de diversité reste à définir. En ce sens, nous adoptons la définition de Bob White d’un vivre-ensemble qu’il envisage comme un scénario de l’interculturel :

Le vivre-ensemble n’est pas un état de cohabitation paisible où les différences sont simplement « tolérées », ni une construction sociale artificielle qui évacue les différentes catégories de différence afin d’isoler l’identité citoyenne, mais une posture qui permet de mobiliser un regard critique[2].

Dans l’espace scolaire, les professeurs et les élèves partagent des rôles et des statuts aux allures égalitaires, mais paradoxalement, une certaine verticalité subsiste pour renvoyer une image qui les divise en groupes d’enseignants (actifs) et d’apprenants (passifs). En arrière-plan de cette égalité ne cessent de se profiler les particularités de l’expérience scolaire de chacun qui est en grande partie associée à sa vie quotidienne en dehors de l’école. La démocratisation de l’éducation constitue un enjeu de taille pour les sociétés qui misent sur l’école afin de réaliser un changement et une équité sociale entre les communautés. Dans un espace scolaire en dialogue avec la différence, un changement se construit et réhabilite les populations d’élèves en leur donnant le droit d’améliorer leur quotidien. Christiane Perregaux, dans son article « L’école suisse et la diversité culturelle : de l’impasse au changement », souligne l’importance d’un dialogue entre l’école et la société :

Les acteurs scolaires ne sont cependant pas extérieurs aux débats de société qui influencent leurs représentations. D’une certaine manière, la représentation qui domine dans l’espace public s’introduit dans l’école qui devrait garder une certaine distance si elle veut continuer à poursuivre son objectif d’égalité des chances[3].

Cette complexité du rapport entre l’école et la société est mise en relief dans certains films francophones de veine réaliste comme le film québécois Secondaire V (2014) de Guillaume Sylvestre ou le film français Entre les murs (2008) de Laurent Cantet, d’après le roman de François Bégaudeau. Ces deux films renvoient non pas à l’image d’une école utopique et rêvée, qui se place au centre du monde ou en marge de lui, mais plutôt à des espaces scolaires qui abordent les divers aspects d’une violente conflictualité quotidienne qu’il convient de contrer. Ces films caricaturent une réalité vécue sans la mutiler et mettent en scène un regard critique sur la conflictualité vécue entre les générations et entre les cultures qui coexistent en classe, sans pouvoir entrer en dialogue. Malgré la différence de contexte, les deux représentations ont en commun des stratégies de scénarisation et de tournage réalistes qui consistent à assigner à chaque acteur un rôle qui correspond à son statut réel : de ce fait, les élèves et les professeurs jouent leurs propres rôles dans la vie scolaire. Par ce choix, les réalisateurs visent une représentation fidèle à la réalité sociale comme écho d’une réalité mondiale. Cependant, le montage participe d’une subjectivation de la scène éducative et la sélection des plans et des scènes véhicule des choix idéologiques qui transforment l’espace scolaire représenté.

Les deux films mettent en scène la diversité culturelle et la question de l’identité à la manière d’Amin Malouf dans Les Identités meurtrières, rappelant la négociation nécessaire pour la mise en commun de l’ensemble des différences : « Mon identité, c’est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne[4]. » De ce point de vue, le biopouvoir de l’école, en tant que pouvoir exercé sur la vie des acteurs du milieu éducatif, consiste avant tout en l’accompagnement et l’encadrement d’actions visant l’amélioration de divers aspects de la vie quotidienne à travers la tension produite par un vive-ensemble conflictuel, loin des mondes où les diversités semblent dialoguer alors qu’elles ne font que coexister. Dans Entre les murs (2014), nous découvrons une classe interculturelle d’un établissement parisien où la majorité des élèves sont d’origine migrante. François Begeaudau qui incarne son propre rôle de professeur, dans la vie et dans son roman Entre les murs, se prête au jeu de l’échange d’une violence quotidienne représentative du vécu dans certaines zones difficiles. Comme dans Secondaire V, il n’y a aucune intention de la part des réalisateurs pour enjoliver les scènes de la vie quotidienne des élèves et des professeurs qui sont souvent confrontés aux limites de leur condition.

À sa sortie, Entre les murs avait provoqué une polémique en France, on lui a surtout reproché une représentation de la classe qui se limite à la conflictualité et une image assez dégradante de la situation d’enseignement-apprentissage, où règne l’indiscipline et où il est impossible de transmettre des savoirs. Malgré ces critiques, le film demeure une référence cinématographique incontournable pour l’exploration de la classe cosmopolite, qui n’est ni une utopie ni une image faussement harmonieuse renvoyée à des spectateurs assoiffés d’idéalisme. En effet, la conflictualité cadrée par ce film est essentielle à la négociation culturelle, du moment où elle ne limite pas le cosmopolitisme à la juxtaposition des diversités. Quant à la transmission des savoirs, elle est bien présente dans le film, sauf que le professeur n’en est plus l’unique source. Nous verrons au fil des analyses, de quelle manière les élèves critiquent le système éducatif et les contenus enseignés autour de nombreuses questions, comme les dissertations qui cherchent un équilibré forcé entre l’expression d’une subjectivité et la violation de la vie privée, ou encore les exemples utilisés en classe qui sont en décalage avec la réalité migrante des élèves.

Dans Entre les murs, à la suite de la lecture de quelques extraits du Journal d’Anne Frank, le professeur de français demande à ses élèves de rédiger un texte descriptif pour présenter à la classe leur autoportrait. Contrairement aux classiques des fictions de l’éducation comme Topaze de Marcel Pagnol ou La Leçon d’Eugène Ionesco où le rôle d’élève semble mutiler les adolescents d’une grande part de ce qu’ils sont en dehors de l’établissement éducatif ; dans le film de Cantet, le choix d’un tel sujet de production écrite constitue une opportunité pour exprimer leur subjectivité dans un espace qui avait tendance à l’occulter. En même temps, l’expression de cette subjectivité est associée à une considération éthique où le récit de soi, en tant qu’exercice de classe, constitue une forme de violation de la vie privée.

La rédaction des autoportraits offre aux élèves l’opportunité d’aborder des questions qui les préoccupent, telles que la discipline, le respect ou la honte. Le texte de l’élève Khoumba rend compte de la complexité d’un tel exercice :

Un adolescent apprend peu à peu à respecter ses professeurs à cause des menaces de ceux-ci, ou en ayant peur d’avoir des problèmes. Et déjà moi je vous respecte et le respect doit être mutuel, et comme, par exemple, je ne vous dis pas que vous êtes hystérique. Alors, pourquoi vous me le dites ? Moi, je vous ai toujours respecté, alors je ne comprends pas pourquoi vous nous faites écrire tout ça. De toute façon, je sais que vous avez une dent contre moi mais je ne sais pas pourquoi. Ma résolution est de me mettre à tous les cours au fond, comme ça, il n’y aura plus de conflits pour rien…Et normalement, dans un cours de français, on doit parler de français et pas de sa grand-mère, de sa sœur, ou de règles des filles. C’est pour ça, à partir de maintenant, je ne vous parlerai plus.[5]

Dans son texte, Khoumba pose la question de l’équilibre précaire entre l’expression de la subjectivité et le respect de la vie privée. Parler uniquement de français dans la classe de français, est-ce vraiment possible ? Les élèves sont souvent les sujets de leurs propres travaux écrits dans le cadre d’une stratégie d’apprentissage qui est censée susciter leur intérêt et les impliquer dans les échanges. Les rédactions des autres élèves viennent soutenir l’idée d’une difficulté à protéger la vie privée, face à ce type d’exercice scolaire. En voici quelques extraits :

ESMERALDA : « Plus tard, je voudrais être policière parce que les gens disent qu’il n’y a que de mauvais policiers, alors il en faut des bons. »

SOULIMAN : « Je m’appelle Souliman et je n’ai rien à dire sur moi, car personne ne me connaît que moi[6] ».

Une analyse des énoncés des élèves permet de saisir le contexte social migrant auquel ils appartiennent, leur vulnérabilité psychologique et la manière dont ils réagissent face à l’impératif de se dévoiler au professeur, dans un bon français. Par exemple, pour ces élèves les instances qui exercent un pouvoir sont perçues négativement : le professeur et le policier sont respectés pour la crainte qu’ils provoquent chez ceux qui subissent leur pouvoir. Dans l’essai de Khoumba, on note l’impossible neutralité entre l’élève et son professeur, dans une relation qui les implique émotionnellement. L’exercice de classe consistant à brosser des autoportraits vient confirmer la superposition entre les deux sphères, privée et publique.

D’autre part, Khoumba reproche au professeur son voyeurisme, à travers des exercices qui incitent à donner de nombreux détails sur la vie privée de ses élèves, du même coup, elle l’accuse de donner des exemples explicatifs auxquels les élèves ne s’identifient pas et qui ne tiennent pas compte des diversités culturelles de la classe :

– « Bill déguste un succulent cheeseburger ».

– Et pourquoi vous n’arrêtez pas de mettre des « Bill » ? Toujours des noms bizarres. Pourquoi vous ne mettez pas …

– C’est un nom de président récent, je te rappelle !

– Mais pourquoi vous ne mettez pas Ayssata, Rachid ou Mohamed[7] ?

À travers ce dialogue, nous percevons des échos entre la scène éducative dans le contexte colonial et la classe interculturelle. Nous retrouvons cette même critique dans Portrait du colonisé où Albert Memmi dénonce l’idéologie dominante des manuels scolaires qui présentent aux élèves tunisiens la vie quotidienne menée dans un cadre européen. Dans les classes interculturelles, le cadre colonial est censé être déjà dépassé dans un milieu éducatif décolonisé : il s’agit simplement de présenter des contenus éducatifs auxquels les élèves peuvent s’identifier, loin des références qui semblent les rabaisser.

Le professeur répond à la remarque de Khoumba par le fait que le prénom de « Bill » appartient à un président : il y a donc non seulement une absence volontaire des personnages auxquels les élèves peuvent s’identifier mais aussi une valorisation du modèle unique de culture élitiste. Bob White parle de « la nature monoculturelle des institutions du pouvoir »[8]  qui ne tiennent pas compte des normes et des valeurs interculturelles. La remarque de l’élève est dictée par la nécessité de partager un même système référentiel, pour que les élèves et leur professeur puissent communiquer dans le cadre d’une situation apprenante qui n’est ni une forme de violation de la vie privée, ni l’omission de leurs diversités. Certainement, cette question de la non-représentativité traverse les fictions de l’éducation, et ne se limite pas aux diversités culturelles, puisque les minorités sexuelles ainsi que les personnes handicapées sont sous-représentées dans les récits de la scène éducative.

Dans le contexte de l’école suisse, la chercheuse Christiane Perregaux enrichit le débat sur la diversité culturelle à l’école et sur les rapports entre le milieu éducatif et la réalité sociale :

La diversité qui voudrait rendre compte d’une pluralité de situations, de cultures, de langues, d’interprétations culturelles, par exemple, est malmenée. Elle, qui voudrait signifier une vie sociétale où chacun, quelle que soit son origine a une place (un appel citoyen en quelque sorte), une solarisation qui dénoue le Nous et les Autres, se réduit souvent, en Suisse, à une représentation plutôt dichotomique : la diversité désignant bien sûr les Autres […] Cette forme de représentation collective ne va pas sans une sorte de déqualification de l’Autre, d’un manque de reconnaissance de ses ressources et de ses qualifications, et s’accompagne parfois d’une forme d’exclusion l’accusant d’être abuseur d’hospitalité, voleur de travail, de logement. C’est une représentation que de nombreux enseignants remettent en question à l’école en cherchant à développer des pratiques sociales où chacun trouve sa place dans la diversité sociétale actuelle : dans une appartenance scolaire, une appartenance au quartier, à la cité.[9]

La société qui fait son entrée à l’école apporte une forme de conflictualité à gérer par les élèves et par les enseignants dans le but de remettre en question les préjugés qui maintiennent la ségrégation à l’intérieur de la salle de classe et en dehors d’elle. Dans un contexte de tension, appartenir à la communauté scolaire signifie adhérer à des valeurs égalitaires et les intérioriser en vue d’une action quotidienne sur le vivre-ensemble.

Dans les fictions de l’éducation qui mettent en scène cette conflictualité du contexte social, la responsabilité de l’enseignant dépasse la transmission des savoirs assignés aux programmes scolaires, et rejoint une réflexion sur les contenus aptes à changer les mentalités et à réhabiliter la richesse intrinsèque à la diversité culturelle dans des classes cosmopolites. Nussbaum se réfère aux stoïciens pour définir le cosmopolitisme à la lumière des rapports entre le local et le global :

Les stoïciens soulignent que pour être citoyen du monde, il n’est pas nécessaire de rompre avec les identifications locales, ce qui peut être une source de grande richesse dans la vie. Ils suggèrent que nous ne nous considérons pas comme dépourvus d’affiliations locales, mais comme entourés d’une série de cercles concentriques. Le premier encercle le soi, le suivant englobe la famille proche, puis suit la famille élargie, puis, dans l’ordre, voisins ou groupes locaux et concitoyens – et on peut facilement ajouter à cette liste des groupes basés sur des identités ethniques, linguistiques, historiques, professionnelles, de genre ou sexuelles. En dehors de tous ces cercles, le plus grand est l’humanité toute entière[10].

Selon cette définition, le cosmopolitisme serait la reconnaissance à l’échelle locale et globale, de diverses appartenances qui sont toutes transcendées par l’appartenance à l’humanité. Revenons à la revendication de l’élève Khoumba dans Entre les murs qui semble diverger de l’analyse stoïque reprise par Nussbaum, alors qu’elle la rejoint. L’élève qui suggère des prénoms comme Ayssata, Rachid ou Mohamed, accomplit un geste cosmopolite. En exigeant des exemples représentatifs de la pluralité ethnique, l’élève désire se reconnaître à l’image d’une classe-monde qui ne serait pas tronquée de l’Afrique et du Monde Arabe. Dans cette perspective, le biopouvoir du milieu scolaire se transforme en un changement de l’image du monde tel qu’il est représenté et tel qu’il est vécu.

Le plaidoyer pour une éducation cosmopolite présenté par Nussbaum est une conscience du monde et de l’humanité en tant qu’appartenances suprêmes. Cependant, pour un élève minorisé, faire partie du monde et de l’humanité, c’est d’abord faire partie de la classe, du quartier, de la ville et être représenté dans des discours à propos de ces espaces. Khoumba, tentant d’intégrer Ayssata, Rachid et Mohamed à la liste des exemples utilisés par le professeur, revendique une appartenance au monde, à l’humanité et à un cosmopolitisme qui comprendrait les différences identitaires.

En date du 16 octobre 2018, le journal français Le Point publie la lettre d’une enseignante rapportant les réactions de ses élèves qui ont refusé de lire le roman de l’auteur franco-algérien Akli Tadjer, Le Porteur de cartable. En effet, l’enseignante avait demandé à ses élèves de lire ce roman en prévision d’une rencontre avec l’écrivain :

Mais les réactions des élèves ont été pour le moins édifiantes. Dans le mail de l’enseignante, on peut lire ensuite sur les motifs d’insatisfaction des élèves : « L’histoire ne concerne pas la France [ils ne savaient pas que l’Algérie avait été française] et il y a du vocabulaire en arabe… Un élève a refusé de lire pour ne pas prononcer le nom « Messaoud ». J’ai dû l’exclure… Autrement dit, des réflexions vraiment racistes.[11]

En situation de classe, il s’avère impossible de dissocier la question de la décolonisation de l’éducation de la diversité culturelle : les deux impliquent un militantisme pour l’égalité entre les acteurs de la scène éducative, ainsi qu’une démocratisation des objets du savoir. En effet, les classes cosmopolites reconnaissent la citoyenneté du monde à tous les acteurs du milieu scolaire et entretiennent un rapport égalitaire aux différentes productions culturelles, sans en exclure aucune.

Dans le film québécois Secondaire V de Guillaume Sylvestre, l’établissement scolaire montréalais fait écho aux débats identitaires et aux préoccupations sociales de la ville. Les élèves qui sont en grande partie des enfants de migrants, en provenance d’Algérie, du Maroc, du Vietnam, d’Iran, du Guatemala, de France et d’Ukraine prennent part, sans l’annoncer, au projet collectif de savoir ce qui pourrait être mis en place à l’école. Ces élèves qui semblent insouciants et qui manifestent un rejet de la discipline qu’on leur impose dans l’établissement, participent au Printemps érable, à travers une action citoyenne qui revendique la gratuité de l’éducation. En effet, la scène éducative est investie par la violence d’une réalité sociale qui se retrouve en classe. Les élèves qui entretiennent divers rapports conflictuels entre eux et avec le personnel enseignant et administratif semblent s’accorder sur un élément identitaire qui les rassemble : questionnés sur leurs appartenances, ils se définissent presque tous comme montréalais. L’identification à l’identité montréalaise implique un cosmopolitisme selon lequel Montréal serait une ville-monde adoptant la diversité comme une forme d’identité multiple et inclusive. Cette question des appartenances est posée par Nussbaum quand elle interroge l’ordre selon lequel sont présentées les appartenances à la nation et au monde, tout en insistant sur les méthodologies et les programmes éducatifs qui réarticulent les nouveaux rapports entre le local et le global :

Au fur et à mesure que les étudiants grandissent, est-il suffisant qu’ils sachent qu’ils sont avant tout des citoyens des États-Unis, mais qu’ils doivent respecter les droits fondamentaux des citoyens de l’Inde, de la Bolivie, du Nigeria et de la Norvège? Ou devraient-ils –comme je le pense– en plus d’accorder une attention particulière à l’histoire et à la situation actuelle de leur propre nation, en apprendre beaucoup plus qu’ils ne le font fréquemment sur le reste du monde dans lequel ils vivent, sur l’Inde, la Bolivie, le Nigeria et la Norvège et sur leurs histoires, leurs problèmes et leurs succès comparés? Devraient-ils apprendre uniquement que les citoyens indiens jouissent des mêmes droits fondamentaux de la personne, ou devraient-ils également se renseigner sur les problèmes de la faim et de la pollution en Inde et sur leurs conséquences pour les problèmes plus vastes de la faim et de l’écologie dans le monde? Plus important encore, devrait-on leur apprendre qu’ils sont avant tout citoyens des États-Unis, ou plutôt qu’ils sont avant tout citoyens du monde des humains, qu’ils se trouvent aux États-Unis et qu’ils doivent partager ce monde avec les citoyens d’autres pays[12]?

Sans la nommer, Nussbaum lance un appel à une éducation comparatiste qui considère de manière égalitaire les différentes cultures « comparées » dans le milieu scolaire. Autant dans Entre les murs que dans Secondaire V, l’interculturalité conflictuelle s’efforce d’introduire l’ordre global dans les considérations locales. Les contextes parisiens et montréalais se prêtent à ces questionnements identitaires par les diversités qu’ils accueillent dans ce qu’on a désigné par des classes cosmopolites. Dans ces films, être en classe équivaut à appartenir au monde et à revendiquer une citoyenneté égalitaire.

[1] Martha Nussbaum, « Patriotism and Cosmopolitism », in For Love of Country. Boston: Beacon Press books, 2002 [1996]. p.5-6, traduit de l’anglais par mes soins.

[2] Bob White, « Le “Vivre-ensemble” comme scénario de l’interculturel au Québec », in Pluralité et vivre-ensemble, Francine Saillant (éd). Québec : Presses de l’Université Laval, 2016, p. 58.

[3] Christiane Perregaux, « L’école suisse et la diversité culturelle : de l’impasse au changement », in Myriam Salah-Eddine (dir.), L’École et la diversité culturelle : nouveaux enjeux, nouvelles dynamiques. Actes du colloque national des 5 et 6 avril 2006. Paris, Documentation française, 2006. p. 65.

[4] Amin Maalouf, Les Identités meurtrières. Paris : Grasset, 1998. p.18.

[5] Laurent Cantet, Entre les murs, d’après le roman de François Bégaudeau. Film français : 128 minutes, 2008.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Bob White, op. cit., p. 47.

[9] Christiane Perregaux, op.cit.

[10] Martha Nussbaum, op.cit, p.9. Traduit de l’anglais par mes soins.

[11] Le Point, « Des lycéens refusent de lire un auteur franco-algérien », in Le Point, publié le 16/10/2018. URL : https://www.lepoint.fr/societe/somme-des-lyceens-refusent-de-lire-un-auteur-franco-algerien-16-10-2018-2263367_23.php [Consulté le 10/10/2019]

[12] Martha Nussbaum, op.cit., p.6. Traduit de l’anglais par mes soins.

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