A Mahfoud Boucebsi[1]
Mahfoud[2]
Un an après, en ce 15 juin, à l’heure exacte où ils t’ont frappé, ce matin,
Toi dont le nom signifie le « bien gardé »
Nous te gardons en nous, riant et jeune.
Ils t’ont meurtri à l’entrée même de l’hôpital,
le lieu des haltes, des rémissions, des consolations.
Et l’Algérie entière est devenue un seul et immense hôpital
ils t’ont abattu toi, au gouvernail.
Trente ans durant, tu as été le sonneur d’alarmes,
Toi, l’écouteur de toutes les douleurs solitaires,
Nous écoutons ta voix acide qui réveille.
Sans nul (sic) cesse, les philistins t’ont reproché ton accueil du plus humble,
Eux qui dépouillaient la femme fragile, qui ne voyaient pas les orphelins
languir,
mourir.
Eux qui rendaient stérile la quête des adolescents en colère,
tu t’es dressé impatient, inlassable et tu citais Ibn Sinna, Foucault, Fanon tout en parcourant, à travers le pays, chaque lieu où vagissait l’enfance abandonnée.
Ils t’ont atteint à l’aube, alors que tu pleurais encore un poète abattu[3],
Et l’Algérie entière nous paraît une enfant jusqu’à quand abandonnée.
Mais tu fais, tu demeures, Mahfoud, le rassembleur des cœurs purs,
Et tes lieux de vie, tes « oliviers », palpitent, vivaces,
Et derrière la douleur, et malgré l’absence qui jamais ne s’efface
le chemin de ton exigence, de ta soif de justice,
précédé de ton rire, devant nous reste trace,
sacre d’une folie ordinaire, tatouée.
Assia Djebar, 15 juin 1994
[1] Poème publié dans le quotidien El Watan, Alger, le 27 juin 1994.
[2] Psychiatre algérien, de renommée mondiale, comptant parmi les membres fondateurs de la Ligue algérienne des droits de l’Homme (1985) et du Comité de vérité sur l’assassinat de Tahar Djaout. Il a été assassiné le 15 juin 1993 à Alger.
[3] Tahar Djaout a été assassiné un peu plus de deux semaines plus tôt.
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