La trilogie étoilée de Julie Cuvillier-Courtot
par Maëline Le Lay
Quelles autres maison d’édition et collection que « Littérature de nos belles singularités » chez La Cheminante pouvaient mieux accueillir la trilogie de Julie Cuvillier-Courtot[1] ?
Les belles singularités sont ces voix un peu autres, éminemment polyphoniques (et toujours quelque part un peu polyglottes), résolument transfrontalières, que s’attèle patiemment à faire résonner dans la sphère littéraire francophone, Sylvie Darreau, fondatrice de La Cheminante. Des textes – récits, romans, recueils de nouvelles ou de poésie – écrits par des auteur.e.s que l’Histoire a embranché.e.s dans un ailleurs parfois enraciné en eux et elles, parfois flou, imaginaire ou fantasmé mais toujours arrimé corps et âme à leur plume. L’ailleurs, chez Julie Cuvillier-Courtot s’étire dans toutes les directions tout en cherchant leur point de convergence, à l’image du polygone étoilé de Kateb Yacine. Née en Alsace d’une mère franco-allemande et d’un père Nord-Africain qu’elle n’a pas connus, elle est adoptée par une famille aux origines espagnoles, grandit en Alsace et vient s’installer à Bordeaux où elle vit. Bordeaux, porte du Sud, de l’Espagne qui devient son refuge ; Bordeaux, port de départ vers l’Afrique dont elle foule les terres septentrionales, en quête de voyages initiatiques.
Comme les textes édités par la maison domiciliée au Pays basque, les personnages des récits de Julie Cuvillier-Courtot, cheminent, d’Est en Ouest, du Nord au Sud. C’est leur première caractéristique, peut-être même leur ADN. Tous, ou presque, n’ont de cesse de chercher leur chemin en se frayant de multiples voies dans le monde, clignant fort des yeux pour suivre leur Étoile polaire. Dans les Aurès, Romain et Marie, les amoureux blessés des Amants de Vénus, emprunteront chacun un chemin – incessamment poursuivi – mais qui jamais plus ne se croisera.
Car qui dit cheminement, dit rencontres. Les pièces de la trilogie en sont traversées de part en part. Les amants de Vénus ne racontent que cela d’ailleurs : la rencontre amoureuse ici démultipliée comme des poupées gigognes. Marie, la narratrice, baignant dans son monde nimbé de poésie, tente d’oublier le Prince adoré qui l’a blessée, par une étreinte dans les bras du Nouveau qu’elle ne parviendra pas à aimer, tout en écrivant un conte, la légende de Leïla et Aksil destinée à « [lui] faire croire que l’amour est un chant qui s’écoute et qu’il n’est pas le privilège des poètes » (p. 99). C’est en taillant chez son voisin le lierre qui grimpe d’une maison à l’autre que Coline Haddad se fait passe-muraille. Mettant à nu le mur qui les sépare, elle est celle qui, dans un mouvement apparemment contraire, tisse le lien entre les maisons, abattant symboliquement les cloisons culturelles. La passe-muraille narre cette amitié profonde et singulière que Coline noue avec ce vieil homme prénommé Joseph Weil, qui lui raconte son histoire familiale, d’Auschwitz à la Dordogne, éternelle terre d’accueil. Julie Massota, double incontesté de l’auteure dans La femme cardinale, embarque pour la Tunisie à la rencontre de son père biologique qui ignore jusqu’à l’existence de cette grande enfant, fruit d’un amour de jeunesse avec une Alsacienne ; c’est là l’une des scènes les plus bouleversantes de cette constellation cardinale.
De la musique avant toute chose, savourée avec un thé ou un café brûlant, comme autant de balises flottant dans ces trois récits. Des balises pour se retrouver soi et pouvoir se relier à l’Autre. L’écriture de Julie Cuvillier-Courtot est parcourue de ces balises, empreinte de sensualité, d’une appétence pour la vie et d’une intense sensibilité au monde qui se dit par petites touches impressionnistes. Ses romans sont émouvants pour qui capte la réelle sincérité du récit (et donc sa justesse). Ils touchent celui ou celle qui accepte de se laisser emporter par le lyrisme parfois débridé de l’auteure, par cet amour généreux débordant des lignes qui pourrait rebuter un lecteur ou une lectrice très pudique ou excessivement rationnel.le, craignant de s’y laisser happer.
Les petits romans de Julie Cuvillier-Courtot n’ont en fait de petit que le format, celui de cette collection qui accueille des textes courts. Ceux-là se donnent surtout à lire comme des tracés vifs et doux à la fois, d’agiles esquisses qui s’étirent dans la matière élastique et savoureuse des mots, comme la pâte des bredele, ces gâteaux alsaciens que l’on cuisine et déguste à l’Est en attendant la Noël, écoutant du flamenco sous la pluie d’hiver et rêvant de l’éclat blanc du soleil de Cadaquès sur la mer éblouissante.
[1] Julie Cuvillier-Courtot, La femme cardinale. Ciboure, La Cheminante, coll. Littérature de nos belles singularités, 2015, 69 p. ; Julie Cuvillier-Courtot, Les amants de Vénus. Ciboure, La Cheminante, coll. Littérature de nos belles singularités, 2016, 117 p. ; Julie Cuvillier-Courtot, La passe-muraille. Ciboure, La Cheminante, coll. Littérature de nos belles singularités, 2016, 76 p.
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