« Je suis plus sorti d’une salle de cinéma que d’une bibliothèque »
Pour clore le dossier dédié par La Plume Francophone au grand écrivain Abdelkader Djemaï, Virginie Brinker et Ali Chibani l’ont rencontré et interrogé sur son histoire et sur son écriture.
Plusieurs de vos romans se centrent sur de petites gens, pourquoi cet intérêt ?
Je viens de ce milieu. J’ai eu une enfance sur le plan matériel difficile mais heureuse du côté familial. Aîné d’une famille nombreuse et de parents analphabètes ce qui m’a, je crois, marqué, c’est l’espace physique dans lequel j’ai évolué. Je suis né et j’ai grandi dans une seule pièce. Longtemps, j’ai vécu dans un haouch, avec une cour commune, quatre voisins, un WC unique et un robinet. Un lieu humain, vivant et propice à l’écriture. Dans mon prochain roman, Le jour où Pelé…, j’y retourne. Pour Gare du Nord, quand je suis arrivé en France en 1993, mon père me manquait, il avait l’âge de mes personnages et moi-même aujourd’hui je deviens un chibani. Là aussi, il me fallait raconter l’histoire de ces gens qui m’ont beaucoup appris. A chaque fois que j’aborde un aspect social dans mes livres, je fais attention à ne pas verser dans le dolorisme, dans le larmoyant ou le misérabilisme. Mon père était un journalier qui sortait à 5h du matin pour aller trouver du travail. La notion d’effort, de labeur, c’est, par lui, que je l’ai compris.
C’est cette histoire, alors, qui revient dans Le Nez sur la vitre ?
D’une certaine manière oui, c’est le récit sur un père qui est manœuvre dans une papeterie du sud de la France qui part à la recherche de son fils qui ne répond pas à ses lettres. Cet homme, comme les chibanis, a un vécu et ce n’est pas parce qu’il est silencieux qu’il n’a rien à dire. En écrivant son histoire, il y a un jeu d’équilibre à préserver, en évitant notamment les envolées lyriques ou trop compassionnelles. Ces gens-là sont des personnages à part entière. Il faut exprimer leur dignité, leur donner la liberté d’exister. Par exemple, il m’est arrivé, une seule fois dans ma vie, pour Gare du Nord, de voir un personnage, Bonbon, venir vers moi et me demander de lui enlever sa moustache, ce que j’ai fait. Pour ce roman, j’ai longtemps arpenté la Goutte d’Or, je regardai les chibanis au square, au café, je notais des détails, les noms des rues pour organiser le cadre de la narration. Car il faut cerner une réalité et ne pas trop inventer.
Mais comment ne pas inventer quand on écrit un roman ?
Il y a toujours une part de fiction, d’invention dans le désir de vouloir installer un décor, une temporalité, une atmosphère, de créer des personnages, de les faire évoluer, de tisser des liens entre eux. Il s’agit aussi de viser à la cohérence en ne refusant pas la part de rêve, d’espoir, peut-être de poésie qui peut se glisser, parfois à votre insu, dans un texte.
Dans Gare du Nord et dans Le Chat de Madame Michel, il y a cette même façon, très forte, de faire vivre les personnages, nous faire éprouver leurs ressentis.
J’écris souvent sur les gens pour lesquels je ressens de l’empathie. Il peut y avoir des méchants, par exemple dans Mémoires de nègre, la question n’est pas là. Je n’ai jamais, il me semble, écrit une phrase qui ne m’ait pas traversé le corps, au sens de l’intensité que cela représente. J’aime que la littérature soit une matière au sens physique tout en n’oubliant pas de parler de l’homme. Les mots que j’utilise ont pour moi la consistance du pain, d’un fruit, de quelque chose qui existe. Il y a une matérialité de l’écriture. Dans Saison de pierres, mon premier roman publié en Algérie en 1986 à la SNED, je tente de raconter le destin d’une ville, El-Asnam, qui a été frappée deux fois par un tremblement de terre. Il existe des romans sur le feu, sur les inondations, sur la peste et autres fléaux et catastrophes mais peu sur les séismes. Quand ils se produisent, il n’y a plus de logique, de linéarité, tout est sens dessus dessous. Il y a, entre autres, l’éclatement de la matière, des pierres qui m’ont toujours fasciné. Je voulais, à travers l’écriture, parler de cette désagrégation, de ce « chamboulement ». Et puis, face à cette terrible catastrophe, il y a l’errance, l’absence de repères, de toits. On revient à cette espèce de fonds culturel chez nous, l’errance, le nomadisme, mais, ici, au sens le plus tragique du terme. Ce qui m’a permis d’essayer une sorte d’écriture de l’errance. Quand je suis venu en France, on me parlait d’exil et ça me gênait un peu, je disais : « non, je ne suis pas en exil, je suis en errance ». L’errance au sens spatial, au sens littéraire du terme. L’exil est un enfermement, surtout si on s’y complait. Au bout d’une vingtaine de livres, j’ai toujours commencé à les écrire en étant en errance : je pose la première phrase, j’ai quelques idées mais je ne sais pas où je vais. Et ce qui me donne un immense plaisir, c’est ce côté accidentel, hasardeux, instinctif. On ne sait pas ce qui peut surgir au tournant d’une phrase, d’un paragraphe. C’est ma cuisine intérieure mais toujours est-il que j’ai toujours fait le choix de la simplicité car je crois qu’en écriture, comme en toute chose, le plus difficile c’est de faire simple. C’est du travail. Quelqu’un qui écrit est comme un fildefériste qui marche sur un câble et en bas c’est le vide. La phrase c’est ça : est-ce que je vais tomber ou ne pas tomber. Et le plaisir quand on « termine » un livre – aucun livre n’est jamais terminé – c’est de revenir sur chaque phrase. Il y a une espèce de jubilation à travailler chaque mot. Les mots sont comme les cailloux. Quand j’étais gamin, j’en soulevais pour voir ce qu’il y avait dessous, c’est toujours humide, il y a un peu d’herbe ou un insecte… C’est ça pour moi le côté sensuel de l’écriture. Aux enfants qui me demandent, dans les ateliers d’écriture, comment je fais pour écrire un livre, je leur dis que je vais dans un jardin potager, je ramasse des tomates, du persil, des pommes de terre, des navets, je les lave, les épluche, les découpe, les mets dans la marmite avec les condiments. Quand c’est cuit, ça fait une soupe ou un plat. Du côté de la gourmandise, j’aime le mot « apprentissage ». D’abord parce qu’il a une belle sonorité et qu’il contient deux verbes : « apprendre » et « tisser ». Et dans la vie comme dans la création il faut apprendre à tisser. L’écriture est pour moi d’abord un métier d’artisan où l’on apprend tout le temps. Elle est un chantier infini et un livre est toujours un pari. Il se fait avec un peu de cervelle, un peu de cœur, un peu de tripes, et surtout avec les mains. Aristote disait : « Un homme est intelligent parce qu’il a des mains ». Je suis un manuel et je vise à plus de simplicité qui est un long travail, d’abord sur soi-même. Le boulanger fait du pain, le mécanicien répare des voitures, le cordonnier des chaussures et l’écrivain des livres, il n’y a rien d’exceptionnel.
Ressentez-vous une certaine contradiction, un malaise, comme Louis Guilloux, à être devenu un grand écrivain, alors qu’il venait d’un milieu défavorisé ?
Je ne ressens pas cette contradiction. Grâce à une bourse, j’ai résidé six mois dans la maison de Louis Guilloux, à Saint-Brieuc. Son père était cordonnier mais ses parents savaient lire et écrire. La mère de Camus, dont il était l’ami, était analphabète et femme de ménage. Camus vivait, dans un modeste appartement, avec elle, son frère, sa grand-mère et ses deux oncles maternels qui avaient un emploi. La famille bénéficiait de trois salaires pour six personnes. L’auteur de L’Etranger n’est pas un fils de pauvre. C’est un orphelin, un orphelin de père, ça on ne l’a pas suffisamment dit. On a donné de Camus une image de pauvreté pour des raisons souvent idéologiques. Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, des écrivains du Maghreb, de l’Afrique et d’ailleurs sont vraiment issus de milieux très défavorisés. Les familles européennes avaient le droit de s’instruire, de voter, de faire carrière dans l’administration, d’avoir des journaux, des partis politiques… C’est encore pire d’être pauvre et n’avoir pas beaucoup de droits…
La grande Histoire traverse aussi votre œuvre.
Peut-être parce que secrètement j’aurais aimé être historien. Depuis La Dernière nuit de l’Emir, Matisse à Tanger, Une ville en temps de guerre, La vie (presque) vraie de l’abbé Lambert, il y a ce rapport à l’Histoire. J’aime que le roman, le récit, la nouvelle m’apprennent des choses sur une époque, sur les peuples, sur les hommes et les sociétés dans lesquelles ils vivaient. La littérature doit servir aussi à s’intéresser à l’Histoire sous toutes ses formes. Quant à celle récente avant d’écrire, au début de la décennie noire, Un été de cendres, je m’étais demandé comment j’allais témoigner sur cette épouvantable tragédie. Pour moi se posaient un problème moral, une question de responsabilité. Je ne voulais pas « vendre » de la violence, du sang, du spectaculaire. J’ai trouvé l’idée d’un fonctionnaire en disgrâce qui va squatter un bureau pour regarder la ville en guerre. J’ai horreur de l’autodénigrement, de la flagellation qui peuvent faire plaisir à un certain lectorat. La littérature européenne de façon générale nous a regardé d’un œil pas souvent amène, c’est à nous, maintenant, de regarder la société européenne mais sans ressentiment ou voyeurisme. Jai fait des livres sur la Bigorre et sur le Nord-Pas-de-Calais. Dans Un moment d’oubli il n’y a pas de makroutes, de tajines. C’est une histoire franco-française. Ce n’est pas par volonté de vouloir être singulier mais je trouve naturel de m’intéresser aux réalités du pays dans lequel je vis. Derrière la grande Histoire, il y a toujours la petite histoire. Balzac disait : « Le Roman c’est l’Histoire de la société privée des nations ».
Par ce choix d’une littérature simple, accessible, n’avez-vous pas pris le risque de rester marginal dans le monde littéraire ?
Jusque-là, les éditeurs ont accepté de faire paraître une vingtaine de mes titres. Il y a eu notamment la trilogie sur la décennie noire puis deux autres. Je publie un livre presque tous les deux ans. J’ai deux métiers : lire et écrire. J’ai exercé celui de journaliste pendant une vingtaine d’années. Il m’a conduit à essayer d’aller à l’essentiel, à faire simple et clair. Comment présenter au lecteur un fait, un événement, une situation avec une poignée de mots, en sachant que la photo qui accompagne l’article peut être plus éloquente que le texte lui-même. Autre influence, le cinéma où mon père m’emmenait, enfant, voir des films de cowboys, de gangsters dont il ne comprenait pas souvent les dialogues. Le cinéma m’a fait comprendre l’importance de la fluidité, le pouvoir de l’image, le plaisir d’être surpris par une scène. Je dis souvent que je suis plus sorti d’une salle de cinéma que d’une bibliothèque. Marginal ou pas, l’important c’est de continuer à produire…
En plus de cela, il y a aussi beaucoup de sensualité. Dans Le Chat de Madame Michel, on est dans un jardin, on sent les odeurs…
Ce côté sensuel, tactile n’est pas prémédité. L’écriture, je l’ai dit, vient du corps. Elle est une eau souterraine qui surgit de nulle part, il faut, avant qu’elle ne s’évapore, essayer de la saisir dans sa fraîcheur, dans l’odeur des herbes et le goût des pierres qu’elle a baignées.
Dans Un moment d’oubli, le « tu » domine. C’est assez particulier par rapport au reste de votre création…
Oui, le « tu » donne le rythme, la sanction du texte et favorise une plus grande proximité. Avec le « il », il y a une distance qui s’établit d’elle-même. Pour cette raison, je préfère le « je » ou le « tu ».
Comment êtes-vous passé de votre enfance dans la cour de votre maison à l’écriture ?
A l’école primaire, je me souviens, il y avait un grand placard bleu plein de livres. C’était ma caverne, ma librairie d’Ali Baba. J’en prends un au hasard, il racontait que des enfants de mon âge étaient appelés à beaucoup voyager dans le monde, mais pour cela, il fallait qu’ils apprennent à sauter en parachute. Un enfant lève la main et dit à l’instructeur : « Si je saute de l’avion et que mon parachute ne s’ouvre pas, qu’est-ce que je fais ? » L’instructeur lui répond : « Tu iras au magasin on t’en donnera un autre ! » J’ai alors ri, mais le plus important c est que j’avais compris pourquoi et je m’étais promis que quand je serais grand j’écrirais des histoires. Cela fait plus de 50 ans que je ne suis pas sorti de cette marmite dans laquelle je suis tombé. En 1967, à Oran, le journal La République publiait, tous les jeudis, une double page sous le titre « Nous les jeunes ». Je leur ai envoyé le seul conte que ma mère m’avait raconté. Je me vois encore, l’enveloppe dans la main, traverser la rue, ému, la glisser dans la boîte aux lettres. Je ne sais combien de jeudis je me suis levé de bonne heure. Un matin, en ouvrant le journal, j’ai failli m’évanouir, mon texte était là, accompagné d’un dessin. J’avais obtenu, ce jour-là, le visa de publier, j’étais passé de l’autre côté. Plus tard, le journal m’a proposé de rejoindre sa rédaction.
En tant que journaliste, vous abordiez tous les sujets ?
Je faisais du reportage, de la chronique, de la critique théâtrale, cinématographique…
Vous avez parlé de l’artisan qui est en Afrique le gardien du temple, de la culture, de la sagesse… C’est celui qui écoute et qui retient. On sait que Mouloud Mammeri est fils d’artisan. Vous considérez-vous à votre tour comme gardien d’un patrimoine culturel ?
J’ai publié des portraits de chioukhs, de chanteurs, des articles sur le malhoun, la poésie populaire. Je suis sensible à ce patrimoine littéraire. Puis, j’ai découvert un grand dramaturge Ould Abderrahmane Kaki qui a, entre autres, adapté Brecht et Beckett en arabe populaire. Il a eu une grande influence sur moi. Je ressens comme un chagrin, il me manque en France de parler suffisamment ma langue maternelle. Quand je rencontre mes compatriotes, passées les locutions d’usage, on bifurque sur le français. J’ai l’impression que plus je parle l’arabe populaire, mieux j’écris en français.
La langue maternelle, l’arabe dialectal, traverse-t-elle vos écrits ?
Elle est parcellaire et intervient par à-coups. Elle n’est pas à la surface mais de manière opportune. Dans Mémoires de nègre, je parle du matreg qui est la canne d’olivier flexible. Je dis que le verbe « matraquer » vient de là. Si ça affleure tant mieux, mais il ne faut pas fabriquer, il faut que ce soit spontané.
Autre chose de frappant dans votre œuvre, ce sont les comparaisons qui nous font basculer dans le registre poétique. Ces images-là vous viennent-elles, comme le dit Amrouche, de l’oralité dans laquelle vous avez baigné ?
Des écrivains comme Dib, Khaïr-Eddine, Kateb ont écrit de la poésie et l’ont aussi instillé dans leurs proses. Elle vient, je suppose, en partie de cette oralité et de ce fonds culturel. Elle éclaire d’une belle manière leurs œuvres.
Vous dites que vous avez écrit des romans franco-français, sur l’Algérie… Vous êtes à l’aise partout ?
Oui, notamment par rapport à la question de la langue. J’ai une grande admiration pour Dib, un immense écrivain qui a bâti une œuvre de haute qualité. Je ne joue pas les pleureuses parce que j’écris en français. La génération d’Albert Memmi, de Malek Haddad s’est légitiment posée cette question. Ce que m’a donné le français, c’est la possibilité de lire Hemingway, Fuentès, Marquez, Cervantès que je n’aurais pas lus dans leurs langues initiales….
En effet, on n’a pas l’impression qu’il y a un « autre » pour vous. Il y a des humains.
Il y a des humains, des vies auxquelles il faut s’intéresser. En littérature les frontières n’existent pas et le rêve d’un écrivain c’est d’être traduit dans plusieurs pays.
Mais ces écrivains ont écrit dans une période où ce que Nabile Farès appelle « l’étrangeté » du Maghreb, c’est-à-dire toutes ces civilisations qui sont passées par là et ont laissé des traces que nous devons enregistrer, était contestée. Il fallait être Français et point, un peu comme ce qui se passe en Algérie maintenant, il faut être arabo-musulman et le reste n’existe pas. Cela nous amène à une autre question, sur l’écriture de l’Histoire. Dans Mémoires de nègre, Golo demande au narrateur de lui écrire une histoire magnifiée de ses ancêtres. N’est-ce pas un clin d’œil à l’écriture de l’histoire telle qu’elle se pratique en Algérie depuis l’indépendance ?
En réaction contre les imposteurs qui se faisaient passer pour des moudjahidines, des glorieux combattants, j’ai écrit Mémoires de nègre paru, en 1988, à l’ENAL. On n’écrit pas impunément ou pour montrer qu’on est un bon danseur de claquettes, cela doit servir à quelque chose. On ne doit pas utiliser les grosses ficelles du discours politique. Dans une cuisine, si on voit les jointures d’un beau carrelage, ça gâche tout. Un roman est suffisamment intelligent pour éviter le langage de la démagogie, de la facilité.
Vous venez d’un pays où il est dangereux de s’exprimer. Ce danger vous a-t-il incité à recourir à la métaphore pour éviter que le danger tombe sur vous comme il l’a fait avec Tahar Djaout ?
J’ai toujours pratiqué en toute liberté mon métier, particulièrement à La République qui n’épargnait pas ses critiques sur la vie et les mœurs politiques de l’époque. J’ai randonné dans cette Algérie, de l’est à l’ouest, du nord au sud. En 1974, le journal a été arabisé. Je suis donc parti à Alger où j’ai travaillé dans d’autres organes de presse. J’ai connu, en ces années-là le regretté Tahar Djaout. Pour moi la politique pourrait se résumer en une phrase : « Il y a les pauvres et il y a les riches ». On peut y coller toutes les idéologies, les doctrines, mais, hélas, cette réalité perdure. Les mots peuvent se dépoétiser mais jamais se dépolitiser. Prenez les contes de fée, eux aussi sont politiques. L’abbé Lambert était fait pour la caricature. Mais j’ai préféré montrer sa nocivité avec, une fois encore, les moyens de la littérature.
Quels sont ces moyens ?
Je crois qu’un livre doit être beau, pas simplement sur le plan esthétique, il doit être courageux et intelligent. Il pose, une fois de plus, la question de la responsabilité. Pour Le Nez sur la vitre, je ne trouvais pas la fin de l’histoire. Je cherchais une explication au suicide du jeune homme. Je voulais éviter les clichés sur les jeunes maghrébins dealers, voleurs ou braqueurs. Un jour au cours d’une rencontre publique à Tokyo une personne qui m’avait entendu parler de ce personnage m’a alors parlé de son frère qui, alors qu’il était ivre avec son ami, avait volé une voiture. Ils ont fait un accident. Le copain est mort et son frère a été condamné à quatre années de prison. C’est comme cela que j’ai peu écrire la fin de mon roman. Il y a une responsabilité morale, non pas que je sois « prudent » mais il est nécessaire d’aller, honnêtement, au bout de ce qu’on veut exprimer. Je comprends qu’un éditeur veuille faire un coup, mais l’auteur doit s’atteler à construire une œuvre. Cela exige un travail constant, de l’assiduité et de la vigilance en évitant de brandir des slogans, de tomber dans le manichéisme, la caricature ou l’insulte. Il s’agit de trouver la juste mesure des choses et des êtres qu’on a choisi de mettre en scène.
Cette vigilance est-ce ce qui vous permet une grande liberté dans les choix de vos sujets ? Contrairement à Boualem Sansal qui s’est enfermé dans le thème de l’islamisme parce que c’est ce qui est attendu par les médias français, vous, vous passez librement d’un sujet à un autre tout différent.
On dit qu’il y a des écrivains courageux. Mais en Algérie, il y a aussi une presse courageuse au quotidien, des journalistes qui sont parfois écrivains et dont certains ont été assassinés. J’ai eu la chance d’avoir la liberté de faire mes livres. En même temps, j’essaie de donner toute leur liberté à mes personnages.
Liberté de l’écrivain, liberté des personnages, et le lecteur où le situez-vous ici ?
Je lui fais des propositions de lecture. Chacun prendra ce qu’il voudra prendre. Ma fonction s’arrête là.
Discussion
Pas encore de commentaire.