Une lecture de Marembo de Dorcy Ingeli Rugamba et Francis Busignies
par Virginie Brinker
Marembo est une ode, à tous les disparus du génocide des Tutsi au Rwanda. Un témoignage qui dit la difficulté de survivre aux êtres chers définitivement perdus. Un dialogue qui se poursuit, malgré tout, au fil des pages avec eux.
Dans un propos liminaire intitulé « Quelques notes », Francis Busignies explique son projet. Il illustrera les mots préexistants, ceux de DorcyIngeliRugamba,retraçant par ses clichés le spectacle du Groupov, Rwanda 94 à Kigali en 2004, dix ans après le génocide. Les photographies montrent ainsi le spectacle en train de se faire, les coulisses, toute la machinerie du décor. C’est une aventure humaine et artistique qu’il s’agit de documenter, afin, peut-être, de surmonter le vertige de la perte décrite par DorcyIngeliRugamba. À moins que ce ne soit le theatrummundi baroque qui soit ici de mise, dans cet entrelacement de théâtre, de mort et de vie. Les événements du génocide sont ainsi parfois métaphoriquement évoqués dans le texte par les mots du théâtre : « la vie, elle vous colle un seul personnage qui vous suivra sur toute la pièce[1] » ; «À Kimihurura, sur cette scène désertée[2] »…
Par ailleurs, DorcyRugamba,est co-auteur et comédien du spectacle du Groupov. Il livre dans Marembo ses doutes et hantises les plus intimes, mais aussi son parcours artistique initiatique, en grande partie lié au destin de son « père et maître[3] », Rwamo :
« Comme artiste, il était partisan d’un art dépouillé et digne. C’était un écrivain rwandais qui s’exprimait dans sa langue maternelle bien qu’il pût s’y prendre autrement. Mais il ne voulait pas d’un art relique ou fantasque à exposer ou à exporter au détriment d’un art limpide, seul susceptible d’enrichir la société. En aucun cas, l’artiste ne doit céder à la tentation du sensationnel, du folklorique ou de l’exotique, quand bien même il s’y sentirait encouragé par un public disait-il. La sobriété. S’il ne fallait retenir qu’un seul principe de son enseignement, ce serait celui-là. Un principe d’art, mais aussi de vie, une valeur ancienne qu’il observait avec rigueur[4]».
Cet art poétique, le fils se l’applique avec rigueur dans le texte qui nous est donné à lire, passant difficilement du « nous » au « je », évoquant ses souvenirs les plus personnels avec dignité et pudeur. De sorte que les préceptes qu’il recherche, que ce soient ceux de l’Itorero[5]de son père ou ceux du Coran, les principes spirituels et ascétiques qu’il entend, au fil des pages, trouver et appliquer, se trouvent illustrés par une écriture aussi sobre que belle, profondément.
Bien sûr, dès lors qu’il s’agit de transcrire de telles horreurs, une telle douleur, les mots sont frappés du sceau de l’impuissance :
« Depuis dix ans, je m’abime la tête à me l’expliquer en vain. Que nous est-il arrivé ? Il est encore tôt sans doute pour que nous soyons en mesure de cerner une telle chose, d’en saisir le sens et les conséquences sur le présent et l’avenir. Nous pouvons tout au plus tournoyer autour comme on gratte les contours d’une plaie. Qui serait de taille à toucher la morsure de son iris ? Des gens parlent. D’autres écrivent. Le faisant, nous savons tous que ce que nous essayons de traduire en mots est hors de notre portée.
Un des moyens de s’en approcher serait peut-être de ne jamais s’écarter de la vie, de se tenir le plus près possible des victimes, faire connaissance avec chacune en son nom, explorer leurs vies et le monde d’avant et dire – pour réaliser – non seulement ce qu’elles étaient mais aussi ce qu’elles représentaient aux yeux des leurs pour que disant[6]. »
Le troisième chapitre entreprend donc de « recommencer » s’ouvrant sur la formule ô combien symbolique : « Je suis né ». Pourtant, redonner un visage, faire revivre, ressusciter, n’est-ce pas autant de chimères que l’on se raconte, pour croire ou se faire croire que les mots ont encore un sens ?
« Mes parents étaient des choinchoin, des chwagnogno, des haaaa, mes petites sœurs, des sikoya, le plus jeune de mes frères, un sakayonde. Nous formions une famille de slurps, quatre chwams, six youfs et les deux zé. Nous étions complètement abwawawa les uns des autres.
Voilà toute la vérité. Je voudrais être plus clair et plus complet, je n’y arriverai pas, croyez-moi. Aussi riches que puissent être les langues, je ne trouverai jamais de mots assez pleins pour les ressusciter. Seuls les babils de mes premiers pas possédaient encore assez de saveur et de salive pour laisser traîner un peu de vie sur les mots[7] ».
On comprend, dès lors, comment pour l’artiste qui fait profession de mots, la douleur peut être violente, car il souffre en tant qu’humain mais il désespère aussi de toute possibilité de dire et transmettre:
« C’est ainsi. Ça tient du masochisme. Quand les poètes doutent ou désespèrent de ne plus pouvoir éclairer la société, ils se jettent dans les ronces pour se punir de ne plus y croire. La foi est une fièvre de l’âme, la poésie est sa morphine[8] ».
Pourtant, ces pages égrènent tout leur amour, un amour filial, pur, intense que ressent le lecteur, profondément touché par l’admiration de ce fils pour son père, la passion de ce fils pour sa mère, Marembo, qui finira, d’ailleurs, par donner son titre au livre. « Qu’est-ce qu’un homme face à sa mère ? J’aimais ma mère des pieds, des mains, du cœur, du nez, des yeux, des papilles gustatives[9]. »
Le portrait hautement symbolique et métonymique du père et de son Itorero parvient ainsi à redresser les piliers de l’éthique traditionnelle rwandaise, abattus par le génocide. Les mots ne cherchent pas pour autant à ressusciter un Rwanda d’antan, mais ils parviennent, au bout de leur quête, à regarder l’horizon par la (re)découverte d’une foi en Dieu, en l’éthique, en l’Homme.
[1]Dorcy Ingeli Rugamba, Francis Busignies, Marembo, Saint-Maurice, Da Ti M’Beti, 2004, p. 43.
[2]Ibid., p. 47.
[3]Ibid., p. 79.
[4]Ibid., p. 91.
[5] « une ancienne institution rwandaise qu’on pourrait assimiler aujourd’hui à une académie des arts. Traditionnellement les recrues y faisaient l’apprentissage non seulement des arts mais également, ça va de pair, des valeurs d’Uburere, Ubupfura et Ubutore qui fondent l’humanisme rwandais » p. 67.
[6]Ibid., p. 25-26.
[7]Ibid., p. 48.
[8]Ibid., p. 63.
[9] Ibid., p. 126.
Bonjour,
Nous recevons ce matin l¹article signé par Virginie BRINKER que vous avez publié le 19 mars 2017 à propos du livre MAREMBO.
Étant l’éditeur de ce livre, nous vous en remercions vivement, ainsi que son auteur.
Nous autorisez-vous à faire état de cet article sur notre site datimbeti.fr (établir un lien avec votre site, citer votre article intégralement, ) ?
Une remarque de détail : une faute d¹orthographe dans le titre ainsi que dans la note de bas de page (1). Vous écrivez FRANCIS BISIGNIES au lieu de BUSIGNIES.
Nous vous assurons de nos cordiales salutations
Agnès BOGANDA
Atelier d¹édition DA TI M¹BETI – France Tel.: + 33 (0)1 48 93 41 31 Fax : 09 57 11 23 37 contact@datimbeti.fr http://www.datimbeti.fr
Diffusion Distribution : DA TI M¹BETI
Bonjour,
Nous vous remercions pour votre commentaire. Oui, vous pouvez le signaler.
Bien cordialement.
La Plume Francophone
En réponse à DA TI MBETI : Merci beaucoup encore, bien sûr, n’hésitez pas à faire état de ce petit compte-rendu et mille excuses pour l’erreur sur votre nom qui a été corrigée. Restons en contact ! Bien à vous, Virginie
En réponse à DA TI MBETI : Merci beaucoup encore, bien sûr, n’hésitez pas à faire état de ce petit compte-rendu et mille excuses pour l’erreur sur votre nom qui a été corrigée. Restons en contact ! Bien à vous, Virginie