Du texte à l’esthétique brechtienne, une actualisation régénérante !
par Caroline Tricotelle
La portée du texte de Brecht ne se perd en rien à traverser le temps pour nous parvenir aujourd’hui. Il présente toujours la vérité, et son difficile chemin, pour atteindre la société. Incarnée par un homme de sciences dans son combat pour la partager, la vérité devient alors une verve, une passion qui le dévore plus qu’elle ne l’alimente. Cependant, le tour de force de cette mise en scène réside dans l’opération théâtrale régénérante effectuée sur le texte.
Quand il contient le mystère de l’univers à l’aune de sa découverte par Galilée, le texte de Brecht continue de remettre en question nos certitudes. Traduit, coupé ou remanié, c’est surtout la féminisation du personnage, parce que GaliléE est une femme, qui permet au texte de réaliser cette actualisation des plus pertinentes. L’équipe franco-marocaine de cette pièce fait entendre, dans le sillon de la langue, des expressions éculées, usées, devenues subitement vibrantes par leur seule émission inédite : elles réfèrent à une femme. Comme cette vérité détenue par le savant, c’est cette vision qui génère une nouvelle perception du monde et du texte de Brecht. Le rôle de GaliléE, servi par une prestation époustouflante de la comédienne Boutaïna El Fekkak, dépasse alors largement la palette de sentiments et d’opinions réservés aux femmes. Ce personnage gagne en fragilité, en détermination et en force. Il gagne aussi en humanité puisque les rapports qu’il entretient avec les autres protagonistes s’en enrichissent également.
Par ailleurs, s’inscrivant dans l’esthétique brechtienne, la mise en scène actualise aussi la notion de distanciation. En effet, cette distanciation s’affirme dans les moments de rupture propre au théâtre de Brecht. Le spectateur est renvoyé à sa posture critique quand un des éléments de représentation est montré comme tel : illusion ou simple jeu de théâtre. L’alternance des scènes jouées avec les chansons concourt également à maintenir la vigilance du spectateur (afin qu’il ne se laisse pas bercer d’illusion, ou du moins, qu’il interroge ce qui lui semblait signifiant). Et cette distanciation connaît elle aussi une actualisation dans la mise en scène de Frédéric Maragnani. Elle devient un espace temps polyphonique et polyglotte. Ressort de l’esthétique brechtienne, elle nous amène alors à devenir critique dans l’évolution du monde d’aujourd’hui. Elle crée une communauté de spectateurs par delà les frontières lorsqu’on assiste à des traductions en direct de certaines parties du texte. Elle nous rend partie prenante des multiples territoires auxquels s’adresse le texte. La posture critique du spectateur est donc directement régénérée : nous ne sommes plus seuls.
Enfin, les couleurs sonores de la mise en scène participent à la création d’un monde qui s’affranchit des limites qu’on veut lui imposer. Tous les genres se retrouvent dans les instants de musique : de l’influence de Kurt Weil à celle du chaâbi. Les accessoires de la pièce constituent aussi une actualisation du monde en accordant une importance capitale à une tente de camping. Et l’espace se modèle au fil des scènes et se vide au fur et à mesure que l’on suit la vie de GaliléE. Pour finir, c’est l’humour qui nous convainc de laisser place à cette énergie du vrai.
Il suffit juste de regarder l’univers par la lunette de GaliléE !
A voir du 22 au 25 février au Tarmac ! Réservez vite !
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