Un Maillot pour l’Algérie : la BD de l’exil et de l’identité nationale
Par Jessica Benakli
Ecrire un article coup de coeur afin de fêter les 10 ans de la Plume francophone est un ravissement mais pas forcément une chose aisée lorsque l’on se consacre depuis des années à un tout autre sujet, la BD. Néanmoins, une de mes dernières lectures de BD[1] m’a profondément touchée et interrogée et m’a paru comme une évidence à partager avec les lecteurs du site.
En avril 1958, en pleine guerre d’Algérie, douze footballeurs professionnels d’origine algérienne quittent clandestinement le territoire français et rejoignent les rangs du FLN (Front de Libération Nationale) pour participer à la création de la toute première sélection nationale d’Algérie et en faire l’ambassadrice de leur volonté d’indépendance à travers le monde. Comme une réponse à la censure française qui minimise le conflit avec l’Algérie, le FLN souhaite médiatiser celui-ci à travers un vecteur de communication populaire : le football.
Parmi eux, Rachid Mekhloufi (jouant à l’AS Saint-Etienne) et Mustafa Zitouni (jouant à l’AS Monaco), deux membres de l’équipe de France, qui s’apprêtent à participer à la Coupe du monde organisée en Suède. Leur évasion est digne d’un polar, certains n’arriveront pas à passer la frontière et l’équipe sera complétée sur place par deux autres joueurs.
Parcourant le monde, souvent clandestinement et malgré les pressions et menaces de la FIFA qui ne veut pas reconnaitre leur existence, cette équipe, surnommée « les fellaghas au ballon rond » ou encore « les Onze de l’Indépendance » va accomplir exploit sur exploit sur plus de 80 matchs à travers le Moyen Orient et l’Europe de l’Est. Ils feront surtout avancer la cause algérienne de manière pacifiste.
Ces hommes décidèrent de se battre en tapant dans un ballon, de renoncer à une belle carrière sportive, au sacrifice de leur vie privée, de 1958 à 1962 afin de faire reconnaître sur les stades l’existence de leur pays. Dans une interview pour le Nouvel Observateur[2], Rachid Mekhloufi se confie : « c’était une équipe de camarades, d’avenir, de frères. Et en plus de ça, on jouait bien, on gagnait des matchs et on marquait des buts ! [385 buts en 91 matchs] On entamait les matchs sans préparation, sans tactique. Mais on avait une attitude politique, c’était un plus pour gagner… on était des hommes libres sur le terrain. » et Amar Rouai de compléter : « On était là pour une année, pour deux ans, pour dix, ou pour l’éternité. Tout dépendait de la victoire politique.[3] »
Nourrie par la rencontre avec le footballeur Rachid Mekhloufi, les scénaristes et historiens Kris et Bertrand Galic ont prêté leur plume au jeunes dessinateur Javier Rey pour narrer un épisode bien connu des spécialistes des relations entre football et politique mais finalement très peu connu au-delà, notamment de ce côté-ci de la Méditerranée.
Ignorée ? Repoussée par le traumatisme de la guerre? Oubliée ? Cette histoire est pourtant l’un des mythes fondateurs de la jeune nation algérienne et au-delà brasse de nombreux thèmes, tels la politique ou le sport comme construction identitaire, toujours très actuels. Le football comme clé importante dans l’étude des relations franco-algériennes depuis 60 ans ? En tout cas, Un Maillot pour l’Algérie et avant tout une histoire de réconciliation entre ces deux peuples. Celle-ci s’illustre notamment dans le fait que les joueurs de l’équipe de France n’en ont jamais voulu à leurs coéquipiers algériens d’être partis pour défendre leurs valeurs. En effet, après la guerre, Rachid Makhloufi est rapidement revenu jouer dans le championnat français et il est redevenu l’idole de Saint-Etienne.
Pour conclure, Un Maillot pour l’Algérie est une très belle BD mêlant savamment les aspects historiques et les rebondissements sportifs au dessin mélangeant subtilement les émotions humaines et l’intensité des scènes de match. Pour aller plus loin, l’histoire est suivie d’une partie documentaire notamment consacrée aux liens entre revendication indépendantiste et mouvement sportif (avec chronologie, portrait des footballeurs et interviews).
[1] Galic, Kris, Rey, Un Maillot pour l’Algérie, Dupuis, « Aire libre », 2016.
[2] Interview disponible sur la page internet du Nouvel Observateur du 16 avril 2016.
[3] Extrait du documentaire « Les rebelles du foot » de Gilles Perez et Gilles Rof. Copyright 13 productions, Canto Bros, Arte France (France, 2012).
J’apprécie beaucoup cette note de lecture qui rappelle la dimension militante du football. Et concernant la BD , elle est génial. Merci Jessica pour ce texte.
Et je vous remercie aussi d’avoir partagé ce texte combien important.