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Comptes-rendus de lecture, Enseignants, étudiants, élèves

Charles Bonn, Lectures nouvelles du roman algérien  

Fécondité de l’inattendu littéraire dans la vie intellectuelle et dans l’œuvre de Charles Bonn

Par Ali Chibani

 

            Le nom de Charles Bonn est familier à tous les écrivains et spécialistes de la littérature francophone maghrébine. Il est l’un des universitaires qui ont participé pendant 40 ans à faire connaitre cette littérature en France et à donner aux étudiants en particulier, au lectorat en général, les clés d’analyse et de compréhension d’un ensemble de textes qui n’est pas toujours facile d’accès pour les non-initiés. Le fondateur du programme LIMAG et professeur émérite à l’université de Lyon II vient de publier Lectures nouvelles du roman algérien. Essai d’autobiographie intellectuelle[1] qui reprend, suivant un ordre thématique, quelques-uns de ses articles et communications consacrés à la littérature algérienne et à la littérature d’émigration.

L’inattendu littéraire

Charles-Bonn            Dans son introduction, Charles Bonn revient sur sa rencontre inattendue avec la littérature algérienne après sa nomination à l’université de Constantine : « Le hasard a voulu que j’aie été en 1969 l’un des premiers enseignants français à découvrir une littérature algérienne à laquelle rien ne m’avait préparé, et puis que je sois devenu, en décidant alors d’y consacrer mes recherches doctorales, l’un des premiers critiques reconnus de cette littérature. » (p. 9)

En lisant cette autobiographie intellectuelle dans laquelle Charles Bonn s’interroge sur « l’inattendu langagier que représenta pour [lui] la découverte de cette littérature, et [dans laquelle il veut] mettre cet inattendu en rapport avec les attendus d’une critique souvent oublieuse de mémoire » (p. 11), on a souvent l’impression que la littérature algérienne n’est pas que littérature pour Charles Bonn : elle apparaît comme une porte qui a donné, pour l’universitaire et chevalier de la Légion d’honneur, sur une vie qui a fait de lui le témoin privilégié du changement des mentalités en France et en Algérie après l’indépendance : « J’ai eu ce privilège dans ma carrière d’enseignant de suivre cette lente évolution de mentalités que fut la décolonisation. Les attentes des étudiants comme celles des enseignants ne sont plus les mêmes, et ma propre lecture de cette littérature dont le lien avec l’actualité politique de cette décolonisation est si fort a évolué, en s’adaptant autant que faire se peut à la modification de ces attentes. » (p. 10)

             À travers ce livre, Charles Bonn « voudrait rendre compte de l’évolution de [sa] lecture, d’une part […] surtout pour proposer des repères théoriques aux étudiants » (p. 10) en s’appuyant sur la théorie post-coloniale qu’il discute et dont il identifie les limites. 

Critique et autocritique

Charles-Bonn           La rétrospective que fait Charles Bonn de son contact avec la littérature algérienne le renvoie à sa découverte, par hasard, du Polygone étoilé de Kateb Yacine qui bouscule l’« attente engagée » de l’ancien militant de l’UNEF. L’universitaire est ainsi amené à remettre en cause ce qu’il appelle maintenant le « paternalisme engagé de cette époque enthousiaste » (p. 14)

Pour sortir de ce « paternalisme », Bonn a insisté afin d’introduire « la notion même de littérarité » dans la critique des textes algériens et a voulu s’intéresser au « fonctionnement sémantique propre du texte littéraire » qui ne suscitait jusque-là que des lectures anthropologiques ou politiques. S’inspirant de Barthes, Sartre et Foucault, Charles Bonn en arrive « à examiner les mécanismes par lesquels c’est sa littérarité, et non son contenu thématique, qui fait du texte littéraire un producteur de sens, et à revenir de ce fait sur la plupart des lectures [qu’il avait] pratiquées jusque-là,  à l’unisson de la plupart des critiques de cette littérature, procédant le plus souvent comme [lui] à partir de présupposés idéologiques sympathiques, certes, mais évitant le risque inhérent à cette littérarité. » (p. 17)

L’inattendu n’a jamais quitté la relation Bonn-littérature algérienne. Le projet de ces Lectures nouvelles du roman algérien a ainsi vu « le jour au lendemain des révolutions arabes de 2010 à 2012, et de leur inattendu » (p. 10) qui fait que « toute Révolution est aussi, quelque part, littérature  » (p. 27), comme cette autre révolution nommée Nedjma qui est, aux yeux de Charles Bonn, un « récit fondateur par l’inattendu ». C’est suite à sa lecture de cette œuvre que Bonn a fait ce qu’il présente comme « une des découvertes inattendues majeures : le sens politique, qui n’est jamais l’objet d’un dire explicite, est produit entre autres dans ce roman par des juxtapositions de récits qui n’ont pas forcément de rapport logique entre eux ni de signification politique, mais qui prennent ce sens politique dans leur rencontre. » (p. 19)

Charles Bonn s’intéresse aussi à « la dynamique de la perte qui produit l’intérêt poétique majeur d’un roman aussi beau que La Colline oubliée » de Mouloud Mammeri (p. 23) :

La découverte de cette productivité par la perte[2], qui bouleversait toutes mes attentes d’affirmation positive de l’être collectif à travers ces textes, fut un inattendu tardif, mais essentiel, dans ma découverte de cette littérature. […] Et c’est là que l’œuvre de Mohammed Dib, et à un moindre degré celle de Nabile Farès, me permirent de répondre au désarroi épistémologique que cet inattendu provoquait en moi. L’œuvre de Farès est toute entière construite sur une blessure initiale, sur une perte de tout lieu où vivre, et elle s’inscrit dans et par cette blessure même. (p. 23-24)

Les études sélectionnées par Charles Bonn portent essentiellement sur la création de Kateb Yacine. Les romans de Mohammed Dib, de Mouloud Feraoun et de Rachid Boudjedra suscitent aussi l’intérêt du critique et universitaire.

Les différentes parties de ce livre développent et actualisent les travaux de Charles Bonn, notamment sa thèse de troisième cycle[3] et sa thèse d’État[4], sur « la production de l’Histoire [et d’une identité nationale] par le texte romanesque » ; sur « l’espace » et « sa variante polysémique » qu’est « l’errance » ; sur l’écriture féminine et « la relation du féminin à l’Histoire » et enfin sur « le roman familial » tel que l’a analysé Freud. « Après avoir assisté au sacrifice de la mère, écrit Bonn, on verra ainsi les multiples modifications de la fonction paternelle, non seulement comme métaphore de la relation à l’Autre, mais aussi dans la relation des textes entre eux. » (p. 31)

[1] Charles Bonn, Lectures nouvelles du roman algérien. Essai d’autobiographie intellectuelle, Paris, Classiques Garnier, coll. Bibliothèques Francophones, 2016.

[2] Sur ce thème, lire aussi Nabile Farès, Maghreb, étrangeté et amazighité. De Gustave Flaubert, Louis Bertrand, Albert Camus à Jean Amrouche, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine et Abdelkébir Khatibi, Alger, Koukou Editions, septembre 2016.

[3] Imaginaire et Discours d’idées. La littérature algérienne d’expression française à travers ses lectures, sous la direction de Robert Escarpit, Université de Bordeaux-3, 1972.

[4] Le roman algérien contemporain de langue française. Espaces de l’énonciation et productivité des récits, sous la direction de Simon Jeune, Université de Bordeaux-3, 1982.

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