Les Maquisards, grand prix littéraire d’Afrique noire 2015
Par Virginie Brinker
Les Maquisards de Hemley Boum narre les dernières années de lutte clandestine des partisans de L’Union des Populations du Cameroun (UPC), interdit par l’administration coloniale. Le roman s’ouvre in medias res sur la course folle de Kundé qui sera élucidée bien plus tard, vers la fin de l’ouvrage. Ce double mouvement préside à la structure de l’œuvre, nous permettant tout à la fois de revivre le passé, y replonger, tout en bénéficiant de retours en arrière éclairants, permettant de saisir chaque situation dans un temps long, et permettant surtout de donner aux cinq personnages principaux, Amos, Muulé, Esta, Likak et Kundé, une réelle profondeur psychologique.
Le texte se propose de nous faire vivre les dernières années de Mpodol (le « porte-parole »), à savoir Ruben Um Nyobé, qui ont précédé l’indépendance du Cameroun. Après Mongo Beti et son Remember Ruben, Hemley Boum narre comment « au fil des générations, son combat sans concession et sa fin quasi christique transcendèrent les obstacles pour s’imprimer en lettres d’or dans l’imaginaire du peuple camerounais » (p. 307). Pourtant, Hemley Boum aborde cette figure légendaire de biais, par la peinture de ses amis les plus intimes et de leurs relations. Faire saisir la grande histoire par la petite est un ressort connu, faire de même par l’intime est à la fois plus rare et plus précieux.
Les portraits de femmes, Thérèse Nyemb, Esta et Likak, sont étonnants de liberté et de courage ; ils incarnent, comme le dit Amos « un potentiel d’insoumission et d’indiscipline [qui] nous fait avancer ou nous met sur la brèche, parfois les deux en même temps » (p. 152). Les relations sexuelles non consenties (avec le colon Pierre Le Gall, ou pour respecter les traditions villageoises (comme avec André Lipem)) apparaissent comme des métaphores. Elles disent la privation de liberté, la lutte à mort pour s’emparer de l’intime, la colonisation des âmes, l’exact envers de la résistance clandestine.
On a l’impression, en tournant les pages, d’un feuilleté de significations. Au détour d’un dialogue, on en apprend plus sur le passé de tel ou tel personnage, mais ces digressions sont autant de ramifications réussies qui nous permettent de saisir les personnages dans toute leur épaisseur. Tous ont une douleur, une faiblesse, une ambivalence, autrement dit une aspérité susceptible de retenir l’intérêt du lecteur : Amos, bras droit de Mpodol, d’une grande sagesse, a eu la faiblesse d’épouser Christine Manguele, une marâtre bigote ; Muulé navigue en eaux troubles, entretenant des relations de complicité avec des administrateurs coloniaux tout en participant à la résistance ; Esta est le fruit d’un viol commis par l’atroce Pierre Le Gall, partisan de la méthode sud-africaine ; Likak a du mal à montrer sa tendresse à son fils, Kundé, tant elle a souffert de sa séparation forcée avec Muulé…
Le roman, par ses différents mouvements rétrospectifs, redonne vie aux personnages, remplissant ainsi pleinement sa fonction d’hommage. On s’attache à Esta (p. 22), la Lionne, par exemple, et on apprend juste après qu’elle a été blessée sauvagement avant de trouver la mort, dans des circonstances qui ne seront d’ailleurs élucidées que dans un second temps (p. 234). Tout se passe donc comme si le roman cherchait à suspendre les conditions de la mort et de l’échec des maquisards dans l’embuscade de Boumnyebel, pour pouvoir les laisser bien vivants dans nos mémoires. Et une chose est sûre, ils ne sont pas prêts d’en sortir, grâce à Hemley Boum.
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