« Quelles que soient les origines, il y a toujours un moment où on n’entre pas dans l’identité qu’on nous assigne »
Extrait de l’entretien de Anne Bocandé avec Karim Miské réalisé pour Africultures
« […] Il acceptera de se charger du poids du monde, tout en s’en tenant à distance. C’est sa manière à lui d’en faire partie. (S’)APPARTENIR »
Karim Miské, N’appartenir
Couronnes (Paris 20e), c’est dans ce quartier, prolongement de Belleville, que nous rencontrons Karim Miské. Nous sommes alors à quelques mètres du Pitch Me, un restaurant qu’il a ouvert il y a deux ans avec Mam Fed et Sonia Rolley. Un lieu où ils organisent tous les 15 jours des Work in Progress, pour échanger autour d’œuvres en création. Il ne manque pas de casquettes Karim Miské ; réalisateur, il est par ailleurs romancier. En 2012, il publie Arab jazz, où se côtoient Juifs ultra-orthodoxes, musulmans salafistes et témoins de Jéhovah dans le 19e arrondissement de Paris. Un succès pour ce polar sorti en poche- même s’il en discute l’étiquette. Comme toutes les étiquettes d’ailleurs. Lui, de père mauritanien diplomate de mère française, marxiste, a grandi en France. La question des identités traverse son œuvre, et ce n’est donc pas pour rien qu’il publie, en mai dernier, N’appartenir. Un texte littéraire à partir de son histoire, une proposition intimiste pour (se) construire et vivre le commun. Une réflexion tout aussi profonde sur la violence et les crispations identitaires. Rencontre.
Africultures. N’appartenir, est un livre sur vos appartenances et leur déconstruction.
Karim Miské. J’ai commencé une première version quand je terminais le documentaire Musulmans de France en 2009. Il y avait le débat sur l’identité nationale, je commençais un peu à péter les plombs comme pas mal de gens. J’avais besoin de donner non seulement ma réponse à cela, mais surtout trouver comment parler de soi, sans faire de l’auto fiction. Je voulais faire un texte littéraire ; essayer de ne raconter que ce qui a un sens par rapport au propos. L’enjeu était là ; raconter quelque chose d’hyper personnel, qui est aussi douloureux, tout en laissant la place au lecteur. Qu’il puisse y regarder d’autres choses qui lui appartiennent. C’était vraiment l’idée ; développer ce concept de N’Appartenir, en positif, qui soit une prise de position et de place dans la société et de faire que tout et chacun puisse le prendre pour lui. Quelles que soient les origines, les trajectoires, il y a toujours un moment où on n’entre pas dans le cadre et où on ne rentre pas dans l’identité qu’on nous assigne.
N’appartenir est en effet un texte littéraire et une ode à la littérature…
… le seul pays possible. J’ai joué dans N’appartenir avec l’idée d’utopie dans laquelle j’ai grandi. J’aime bien l’idée de proposer une utopie qui ne peut pas exister. La littérature serait cela. Dans Fahrenheit 451, (Bradbury, puis Truffaut) la montrent comme existant. Mais c’est évident que ça ne va jamais devenir un pays, un pouvoir. La littérature est juste une forme de résistance ultime de l’humanité qui essaie de préserver quelque chose. L’art c’est cette utopie qui ne peut pas se réaliser, mais qui est juste l’humanité. C’est l’espace de la résistance, de l’humain, du cosmique, de la transcendance, on y met ce qu’on veut.
En quoi la réalisation de Musulmans de France a-t-elle été marquante dans la réflexion de N’appartenir, de faire voler en éclat les étiquettes et les assignations identitaires ?
Je suis né dans le 5e arrondissement, j’ai grandi auprès de ma mère et mes grands-parents blancs. J’ai connu la Mauritanie après, ce n’est pas ça qui a fait mon vécu. Je ne suis pas un fils d’ouvrier, mais plutôt de classe moyenne aisée, j’étais au lycée Henri IV. Je suis assez bourdieusien, il faut dire d’où l’on parle, c’est important. Alors je me suis demandé, si j’étais légitime pour faire Musulmans de France. Et c’est le moment où j’ai accepté de m’inclure dans cette histoire, où j’ai lu Les réflexions sur la question juive de Sartre. J’ai alors écrit un article pour le Monde, « C’est l’islamophobe qui fait le musulman » comme Sartre écrit « C’est l’antisémite qui fait le juif ». J’ai accepté pendant un moment d’être à cette place-là : « vous me voyez comme un musulman, admettons ! » Et puis en fait non ça ne m’allait pas. C’est ce que j’écris dans N’appartenir. Il y a quelque chose qui ne marchait pas, car réellement je ne peux pas revendiquer cela ni comme culture ni comme identité, partiellement oui, mais je ne peux pas m’inclure. Et donc l’étape suivante a été N’appartenir ; tu ne t’inclus dans rien mais finalement où es-tu ? N’appartenir est né de cela : revendiquer un espace et le revendiquer comme un espace commun, ouvert à tous, y compris à des personnes qui revendiquent une identité. Mais peut-être jusqu’à un certain point. J’ai beaucoup réfléchi sur la question de la violence, ce n’est pas pour rien que j’ai écrit un roman policier et dans N’appartenir je reprends cette question de la violence.
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