Découvrir Kettly Mars
par Sandrine Meslet
Nous choisissons d’ouvrir le mois de mars avec un chant haïtien, désenchanté, hanté, définitivement hybride en consacrant un dossier à Kettly Mars. Femme, romancière, haïtienne, énumération qui ne laisse en rien présager de la teneur des combats qu’elle mène dans et par l’écriture. Femme de conviction plus que d’étiquette, chez Kettly Mars, la transgression est un art discret et, donc, redoutable. Chacun des articles du dossier entend mettre en valeur les spécificités de cette écriture ainsi que ses thèmes de prédilection, du double et de l’hybridité, des origines haïtiennes vaudoues, du marchandage des corps et des coeurs ou encore de la compromission. Il y a près d’un an maintenant, dans un amphithéâtre de la Sorbonne, nous faisions sa connaissance lors d’une journée d’études consacrée à la littérature haïtienne. Elle y avait pris la parole pour évoquer un Haïti pluriel, aux antipodes des images réductrices et affirmer la liberté de son outrance, de son audace littéraire. Il n’en fallait pas plus pour nous faire succomber et vous proposer une plongée dans ses écrits.
Kettly Mars a commencé par publier deux recueils de nouvelles Un parfum d’encens (1999) et Mirage-Hôtel (2002) avant de se lancer dans l’écriture de romans. Pourtant, elle revendique l’expression poétique comme première affirmant que : « La poésie la [me] sauve de son [mon] écriture. » Le roman devient une quête dans lequel la poésie reflète un lâcher-prise sur la réalité. Il représente ce qui dépasse le personnage, à l’image du mystérieux pouvoir vaudou, réel contre-pouvoir dans le roman, qui rappelle aux personnages leur passé et leur révèle l’avenir. Chez Kettly Mars, renouer avec la culture vaudoue permet d’assumer sa propre culture et de comprendre sa place en tant que source d’inspiration pour les artistes haïtiens.
Une réflexion philosophique voit le jour dans le roman dès l’instant où l’auteure s’attache à décrire les mécanismes de résistance et de compromission des individus, sans pour autant chercher à les juger. S’attacher à l’héroïsme lui semble moins pertinent, sans enjeux, dans un Haïti qu’elle sent encore marqué par des opinions contradictoires qui tendent à banaliser la dictature de Jean-Claude Duvalier. Le roman est l’objet d’une décoction minutieuse mêlant politique, sensualité, violence, que l’auteur se plaît à transgresser pour révéler une culture haïtienne riche de ses contradictions et de ses errances. Il n’y a pas la volonté de heurter mais « un besoin de partager sans violer, sans faire mal » en faisant revivre dans l’intime les tragédies haïtiennes et lutter contre la corruption des mémoires qui s’appuie sur le populisme. Kettly Mars ne s’interdit rien et explore sensualité et érotisme du corps, des sens, en cherchant à comprendre ce qui les gouverne. Ainsi le viol et l’inceste ne sont pas dénoncés car il s’agit de frapper l’imagination pour parvenir à réveiller les consciences. La démesure et l’outrance sont revendiquées au nom de la liberté de parole, pour venger le viol de l’espoir.
L’auteure s’interroge sur ce que l’écriture romanesque, la sienne et celles d’autres auteurs, inflige à Haïti comme si l’image du pays ou encore ses habitants pouvaient s’en trouver heurtés : « Est-ce que nous faisons du mal à Haïti lorsque nous l’écrivons tel qu’il est ? ». Cette conscience de ce que l’écriture engage s’impose comme un souci majeur dans l’oeuvre de Kettly Mars, toutefois il ne l’empêche pas d’oser et de suggérer des images car, au final, ne fait-on pas plus de mal à Haïti en lui mentant et en lui abandonnant toute audace ?
Bibliographie :
Un parfum d’encens, Haïti, Imprimeur II, 1999.
Mirage-Hôtel, Haïti, Caraïbe, 2002.
L’Heure hybride, Paris, Vents d’ailleurs, 2005.
Kasalé, Paris, Vents d’ailleurs, 2007.
Fado, Paris, Mercure de France, 2008.
Saisons sauvages, , Paris, Mercure de France, 2010.
Kettly Mars, Leslie Péan, Le Prince noir de Lillian Russell, Paris, Mercure de France, 2011.
Aux Frontières de la soif, Paris, Mercure de France, 2013.
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