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Marc Alexandre Oho Bambe, Le chant des possibles

« Pour une République poéthique, ou le courage de faire tenir ensemble »

Par Célia Sadai

« Dédié à Frantz Fanon, né Martiniquais, mort Algérien, et qui ne cherchait “rien d’autre en l’homme, que l’homme”. » (p.18)

hashtagBIMLe texte qui suit est le fruit d’une rencontre publique menée par le collectif Palabres autour des Arts, partenaire de longue date de La Plume Francophone. Cette rencontre s’est tenue le samedi 31 janvier 2015 à la librairie Charybde (Paris 12ème), en présence de Joss Doszen, Grace Poliwa, Virginie Brinker et moi-même. Nous avons eu le plaisir de recevoir le poète Marc Alexandre Oho Bambe (ou Capitaine Alexandre) et de présenter au public son Chant des possibles. Et quand le poète s’est levé pour « slamer sur la lune », la confiance et l’espoir ont pénétré l’huis-clos de la librairie, en cette période trouble de notre histoire. Me sont alors (sou)venus ces mots de Dany Laferrière adressés à son camarade Frankétienne qui, au lendemain du tremblement de terre à Port-au-Prince en janvier 2010, doutait de l’utilité de l’art :

Ne laisse pas tomber, c’est la culture qui nous sauvera. Fais ce que tu sais faire. Ce tremblement de terre est un événement tragique, mais la culture, c’est ce qui structure ce pays. Je l’ai incité à sortir en lui disant que les gens avaient besoin de le voir. Lorsque les repères physiques tombent, il reste les repères humains[1].

Trois moments, trois mouvements : pour donner le rythme

Trois moments particuliers organisent la biographie de Marc Alexandre Oho Bambe dit Capitaine Alexandre, joliment restitués dans la « géobiographie » de l’auteur ajoutée à la fin du volume par son éditrice, Sylvie Darreau. Tout d’abord, les « punitions » endurées par l’enfant Marc Alexandre, sommé de lire, chaque soir avant de s’endormir, par sa maman professeure de Lettres. Un soir, la découverte d’Aimé Césaire marque à jamais celui qui a été lecteur avant d’être poète. Un autre moment éclot plus tard, quand son fils aîné, Ange-Alexandre voit le jour. L’irruption de l’innocence, de la promesse, et de la responsabilité d’un nouveau devenir-passeur. Dernier moment, qui marque la conduite d’une existence, celui du déplacement, et du premier exil depuis Douala au Cameroun, ville d’où le poète est originaire, vers Lille, pour étudier. S’en sont suivis de nombreux autres voyages en « Négritude », en « Afritude », à travers la cartographie du monde noir et de ses diasporas, préfigurant l’exigence de comprendre le monde qui sera mis en poésie et en musique.

Le chant des possibles s’élabore en trois mouvements intellectuel, corporel, et temporel. Il s’agit d’abord de décoloniser les esprits « coloniqués », dans une « prose combat » mi-solaarienne, mi-césairienne, qui s’attaque à « l’anachronique nécro chronique » (p.136) de l’histoire noire. « En attendant le vote des bêtes sauvages », le poète transmet l’orgueilleux héritage de « la teranga de Senghor [au] rocher de Césaire », sans renoncer au cri césairien qui résonne partout dans le livre. Un cri pour la Négritude debout, un mouvement du corps en marche, parfois le poing levé. Le chant des possibles rend largement hommage aux « Marcheurs », aux « résistants bienveillants » qui ne se sont pas couchés, aux « Soleils noirs » ; à commencer par ceux qui marchèrent sur Washington en 1963, pour entendre le célèbre discours de Martin Luther King « I Had a dream » : « On marche / On marche / Et même quand rien ne marche / On marche encore » (« La longue marche », p.215). Le dernier moment est un élan vital formulé sous la forme oxymorique d’un « appel à se souvenir du futur ». « Bon sang / Souviens-toi de toi, de toi / Et du futur / Surtout » (p.249) : ainsi s’achève le dernier poème du livre qui nous dit que résister et s’aimer, c’est prendre soin du futur. Le poète « afroptimiste » puise alors sa confiance dans l’amour sublimé, mais aussi dans le concept d’Ubuntu, socle de la réconciliation nationale au lendemain de l’Apartheid en Afrique du Sud. Le temps d’un clin d’œil à « Mandela, Biko, Tutu et tous les autres, morts au combat » (p.232).

Le chant des possibles : un programme poéthique

Ce livre est avant tout un don d’amour (« Amor »), un appel à l’hospitalité et à la compassion – du latin cum patior, « souffrir avec ». « Souffrir avec », mais sans jamais renoncer à « l’intraitable beauté du monde », un Monde absolutisé sous la formule glissantienne du Tout-Monde dont Marc Alexandre Oho Bambe se proclame citoyen. Ainsi, le poète est tour à tour un « gitan noir », un « professeur d’espérance », un « courtisan d’utopie » qui prend la plume ou le micro pour scander un « blues touareg » ; il est un « poète-tambour » qui « habite l’écho du monde » et en appelle à une « fraternité d’art » pour « construire des ponts arc-en-ciel ». En somme, le poète fait Relation, et la « religiosité » qui se dégage du Chant des possibles, cette « religiosité » profane et étymologique prise au sens de « relier, faire lien », en dit long sur la mission du poète dans la Cité-Monde, qui œuvre en artisan du « vivre ensemble » contre le « Front de l’ignorance » : « Des mots et des actes. Des mots. Et des actes que je refuse de manquer. » (p.52).

C’est ce qui caractérise le devenir poéthique du Chant des possibles, où s’élabore, à travers une axiologie républicaine, un système de valeurs tourné vers le soin porté à soi et aux autres du Monde, à l’image des morceaux « Déjà mort » et « So what ? » où l’évocation de l’esclavage atlantique ou des émeutes de Soweto en Afrique du Sud n’empêche pas de parler aussi des morts d’Auschwitz, ou de ceux qui ont péri le 11 septembre 2001 – s’il n’y a pas de hiérarchie entre les vies, il n’y en a pas non plus entre les morts.

Tisser le texte social

La promesse du « vivre ensemble » formule avant tout l’urgence d’un « dire ensemble », d’un « écrire ensemble », comme en témoigne la composition du livre qui, au contraire d’un recueil compilant une série de poèmes, s’enrichit d’un dispositif qui exploite l’espace d’écriture au profit de jeux typographiques et d’insertions de calligrammes – rappelant le « devenir oral et musical » des poèmes. D’autre part, le livre annule toute hiérarchie entre le poète et son lecteur, au profit d’une relation confiante et d’un échange égalitaire. Ainsi, l’éditrice Sylvie Darreau offre quatre pages blanches au lecteur « citoyen du monde » qui, guidé par quatre mots proposés par Marc Alexandre Oho Bambe – « Aimer, Rêver, Vivre, Cheminer », est invité à écrire le « Cahier d’un retour à soi-même » qu’il partagera ensuite sur le site des éditions La Cheminante.

Ce compagnonnage inédit entre auteur, éditeur et lecteur, désinstitutionnalise la valeur symbolique du livre, inscrit désormais dans un devenir social, sociable et hospitalier. Un « livre-tambour » qui projette un écho idiorythmique, comme le proposait Roland Barthes dans sa célèbre conférence donnée au Collège de France, intitulée « Comment vivre ensemble ? ». Roland Barthes y remettait au goût du jour républicain et citoyen le concept religieux d’ « idiorythmie », pour décrire l’importance, au sein d’une communauté, de trouver chacun son propre rythme, son propre souffle. Cette pratique participative et communautaire de l’écriture mise en œuvre par Marc Alexandre Oho Bambe dans les nombreux ateliers d’écriture qu’il anime, nous rappelle la co-dépendance du texte poétique et du tissu social – pour filer la métaphore barthésienne…

[1] Propos de Dany Laferrière recueillis par Christine Rousseau pour Le Monde du 16 Janvier 2010 : « Haïti : le témoignage bouleversant de l’écrivain Dany Laferrière ».

Pour en savoir plus, voir l’émission de notre partenaire « Les lectures de Gangoueus » disponible sur Sud plateau TV, consacrée à Marc-Alexandre Oho Bambe.

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