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Chronique/actualité

La bourse des valeurs du New New Negro

La bourse des valeurs du New New Negro

par Célia Sadai

En ce moment, une question m’obsède…

Je m’interroge au sujet des universitaires, ceux qui se consacrent aux Black Studies, Diasporic Studies, Black French Studies, African Studies, Black Atlantic Studies, Afropean Studies, Postcolonial Studies, Subaltern Studies… Bref, aux études sur le « Monde Noir ». Et je me demande qui a la  place la plus légitime pour prendre en charge cette nouvelle épistémologie. En somme, l’universitaire idéal est-il un « black scholar », aussi spécifiquement noir que le monde qu’il décrit ?

Voici où j’en arrive après avoir récemment assisté à un colloque magistral organisé par Harvard University et New York University : « Black Portraitures », sous la supervision de Henry Louis Gates. La grande classe, quoi.

Des black hipsters de Williamsburg traînent leur Vans dans la cour des Beaux Arts. Dans l’Amphithéâtre bondé, Lilian Thuram fait l’exégèse du mot « Noir » en France. Malheureusement, il parle surtout d’un noir hyper racialisé, infériorisé, réduit en bouillie par le Blanc, qui règne jalousement sur son pré carré, la France des Blancs qui s’étend jusqu’aux Antilles. Si le témoignage de Thuram – 1h30 de conférence tout de même, me parait un brin excessif, je me dis néanmoins que l’on ne peut pas débattre d’une expérience : autrement on aurait déjà renversé Frantz Fanon, prince dogmatique de l’expérience vécue du Noir…

Alors, un peu comme après ma lecture de ses Étoiles noires, je demeure impartiale, contente déjà de l’initiative du roi du ballon, car à vrai dire Thuram n’a pas tort : les initiatives demeurent bien rares. « Black Portraitures » n’aurait jamais eu lieu sans la participation de deux grandes institution de l’Ivy League… A Paris, on peut toujours compter sur le Musée du Quai Branly, mais plus rien ne se passe dans les amphis des universités, en tout cas, rien dans la mienne. Partant, l’universitaire s’est tiré une balle dans le pied et boite péniblement, à la traine du cortèges des nouveaux penseurs de la Black France.

Carrie Mae Weems. « You became a scientific profile »

Toujours dans la course : Sylvie Chalaye, Dominique Thomas, Françoise Vergès ou Pascal Blanchard, mais loin de s’enfermer dans une salle obscure et probablement amiantée d’une université en grève contre la L.A.U., ceux-là collaborent avec les nouveaux penseurs : footballeurs, écrivains, artistes, commissaires d’exposition, militants, festivaliers …

Et voici que l’universitaire vit dans les marges de l’université, avec des artistes bohèmes et inspirés qu’il a rencontrés à D.U.M.B.O. Lui-même est un penseur itinérant, emporté par le mouvement de ses idées avant qu’elles ne se cristallisent en idéologies, à la manière de Pascal Blanchard qui promène la grande caravane de l’ACHAC à travers la France depuis 20 ans …

Alors, qui est mon universitaire idéal?

Il se situe à mi-chemin entre un amphi amianté (ils le sont tous!) de l’université de Saint-Denis (les activistes…) et un Deli store organic sur Atlantic Avenue. Il porte des lunettes à monture en plastique noire et épaisse qui lui donne un regard de nerd bigleux croisé de Malcolm X – une performance identitaire qu’il assume, parce que pour qu’on l’écoute il faut d’abord qu’on le voit (même France Culture n’échappe pas à la règle et foisonne de beaux dandys). Bref, un pied dans le réel, un pied dans l’idéel, un pied dans le caca. Mon universitaire idéal a un look d’hipster de Brooklyn, il n’a pas honte d’être swag, et croit en ses opinions avec la passion d’un objecteur de conscience.

Est-ce que ce dandy du concept est noir? Finalement, on s’en moque. J’ai pu constater à « Black Portraitures » que pour certaines conférences, tous les panelistes étaient africains-américains. Coté Français, on a entendu Franck Freitas, Alexis Peskine ou Lilian Thuram … La question n’est évidemment pas de savoir s’il y a un essentialisme intellectuel noir – heureusement, personne n’a encore désacralisé Fanon. Il s’agit plutôt de se demander si:

1. La génération des enfants des 30 Glorieuses s’intéresse à ces questions-là?

2. Notre société les a convaincus qu’ils avaient leur place dans le monde des idées?

3. La parole d’un Noir de France a des vertus thérapeutiques?

J’ai co-habité durant deux ans avec une Africaine-Américaine dans une one shot house de Caroline du Nord. Sa mère est une spécialiste en African-American Studies à Oberlin College. Elle-même termine un PhD d’Anthropologie culturelle, et s’intéresse à la communauté des artistes noirs de la Nouvelle-Orléans et à leurs pratiques sociales dans les années post-Katrina. Un programme qui en dit long sur la notion d’engagement et sur l’héritage des charges intellectuelles comme activistes – à la manière de Tupac Shakur et de sa mère, Afeni Shakur, leader des Black Panthers.

Cet universitaire black dandy qui pointe à peine le bout du nez en France a-t-il véritablement la possibilité de tourner le dos à sa « communauté »? La circulation des idées, et surtout d’une autre vue de l’Histoire mondiale me parait être la clé d’une réconciliation sociale en France, où le débat sur la diversité fait mouche chez les défenseurs d’une identité républicaine, égalitaire, et assimilatrice.

J’espère que ces nouveaux penseurs, New New Negros de la France Noire vont devenir des voix d’autorité. Mais personne ne parle de l’image du Blanc dans ce nouveau corps de pensée. Comme l’a souligné Alexis Peskine, en France un « white » est un « Français ». Je dirais aussi qu’un « wasp » est un « bourgeois ». Les terminologies dégagées de part et d’autre de l’Atlantique sont conditionnées par une expérience du territoire.

L’avenir nous dira donc si les nouvelles dictions et fictions du Monde Noir verront le jour chez les enfants des 30 Glorieuses ou bien chez ceux d’une Black Bourgeoisie à la Frazier, avec des black picket fences pour protéger à leur tour le pré carré de leur capital économique et culturel.

New New Black French, montre-toi…

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