Nabile Farès, le scribe qui veille au carrefour des embrasements
Par Ali Chibani
(Article initialement publié par Les Lettres Françaises)
Ouvrir le monde à un autre avenir. Tel est l’idéal de Nabile Farès. Ecrivain, anthropologue et psychanalyste, le fils d’Abderrahmane Farès, président de l’Exécutif provisoire algérien en 1962, est né à Collo en 1940. Après avoir pris part à la grève des lycéens en 1956, il intègre les rangs de l’ALN, notamment en Tunisie en tant qu’enseignant. C’est pendant la Guerre d’Algérie qu’il écrit son premier roman Yahia, Pas de Chance, réédité récemment en Algérie sous le titre de Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie.
Après l’indépendance, il gagne la France où il poursuit ses études et où il devient maître de conférences en littératures comparées à l’université Grenoble III. Avec l’Histoire, la mémoire, l’enfance, la féminité…, l’exil devient l’un des leitmotivs de ses œuvres. C’est à partir de ce lieu que l’auteur d’Un Passager pour l’Occident va porter un regard critique sur le devenir de l’Algérie et qu’il s’insurge avec sa plume contre le sort réservé à l’immigration en France.
Dans L’État Perdu, un « montage de la poésie / Qui rôde autour des universalités mal / comprises… », il rédige un « Discours pratique de l’immigré » qui « creuse ce privilège d’être au-delà de l’insignifiance » en interrogeant et en travaillant les mots. Ainsi, dans Le Champ des Oliviers, il écrit : « JE SUIS UN BIKINI ». Un calembour difficilement identifiable et qui peut prêter à rire. Farès l’explique : « … les Français nous traitaient de bicots, de bics… Moi je suis un bic qui nie… Je refuse d’être un bicot ! Je refuse d’être soumis au racisme du langage des Français[1]. »
Auteur de recueils de poésie et de pièces de théâtre, les récits de Nabile Farès, qui donne la pleine-mesure de son art et de sa réflexion dans la trilogie du Nouveau Monde (Le Champ des Oliviers, La Mémoire de l’Absent et L’Exil et le Désarroi), sont des œuvres éclatées où les blancs disputent l’espace de la page aux mots écrits qui s’amoncellent, se confirment et se raturent les uns les autres, dans des textes caractérisés par une ponctuation irrégulière, souvent absente, qui devient un lieu d’ouverture sur le Nouveau Monde. Une ouverture qui passe par le refus des clôtures dogmatiques, idéologiques, cultuelles et linguistiques. D’où une littérature riche en langues et en symboliques de différentes cultures : amazighe, arabe, espagnole, française…, influencée par la littérature américaine et par les mystiques juifs et musulmans. Tout cela fonctionne autour de la figure mythique de l’ogresse à laquelle l’auteur a consacré un ouvrage intitulé L’Ogresse dans la littérature berbère.
Dans son dernier ouvrage Il était une fois, l’Algérie. Conte roman fantastique, Nabile Farès se demande comment « maintenir la vie contre les gouffres, les envies de nuire, de tuer, mourir, être autrement, quitter la haine, celle de soi, des autres, du monde, de la terre entière ». L’ouvrage est l’histoire d’une disparition, celle de l’Algérie pour l’indépendance de laquelle se sont battus des femmes et des hommes qui rêvaient de liberté. Cette Algérie est incarnée par Selma, une enseignante de français enlevée par les islamistes. Pendant que sa fille, Tania, se dé-livre dans une thérapie psychanalytique, Slimane Driif, journaliste et ami de la disparue, fouille dans les espaces-histoires de l’Algérie, ses violences, ses traumatismes : les Accords d’Evian, le premier assassinat politique de l’Algérie indépendante, celui du ministre des Affaires Etrangères Mohammed Khemisti en 1963 et le meurtre en 2001 du jeune lycéen Guermah Massinissa qui donne le départ du Printemps noir de Kabylie. Autant de violences qui se laissent interprétées via le paysage atteint lui aussi, notamment par le tremblement de terre de Boumerdès en 2003.
Outre ses activités d’écrivain et d’enseignant, Nabile Farès occupe l’espace public de la parole avec des chroniques publiées par la presse en Algérie et en France. Il commente aussi l’actualité dans diverses revues de psychanalyse.
Ali Chibani
A reblogué ceci sur Smart'Afreeka! Blog de Faten Hayed.