La Plume Francophone soutient le Lavoir Moderne Parisien
par Célia Sadai
J’ai découvert le Lavoir Moderne Parisien il y a plus de dix ans. A cette époque, le « XVIIIème » prenait une résonance forcément inquiétante pour toute jeune parisienne respectable. Le quartier de Château-Rouge abritait alors en ses entrailles (les rues Myrrha, de la Goutte d’Or et Dejean) un bon nombre de dealers et autres parias qui tentaient de conjurer les conséquences d’une politique d’immigration déjà en échec.
Je me souviens d’un jour de grippe de 2003. J’étais allée voir L’Entre-deux rêves de Pitagaba de Kossi Efoui, dans une mise en scène de Françoise Lepoix. Auparavant, j’avais avalé un pot de miel entier par crainte que ma toux ne dérangeât la représentation. Après la pièce, j’ai marché à pas pressés vers la station de métro, repoussant au loin les menaces de l’obscurité. Variations sur un théâtre : un foyer dont les portes ne sont jamais fermées, un jus de gingembre mythique, une scène sans tréteau, brute, où les sièges grincent au moindre mouvement. Un décor dépouillé qui compense l’excès presque baroque des rues alentour. Fraîcheur humide sur les murs.
Depuis, du bitume ont fleuri d’autres lieux de culture : le Centre Barbara de la Goutte d’Or, l’Institut des cultures d’Islam… Il fait mieux vivre à la Goutte d’Or. Pourtant, on doit la première pierre artistique à Hervé Breuil, fondateur et directeur du Lavoir Moderne Parisien, qui a entamé il y a quelques jours une grève de la faim pour sauver son théâtre.
Son théâtre est un lieu détourné, de bien des manières. Ces anciens lavoirs sont aujourd’hui un laboratoire dramaturgique où l’on mènera parfois l’enquête sociologique. En effet, Hervé Breuil s’est toujours associé à une vie de quartier, n’hésitant pas à organiser un combat de lutte sénégalaise hors les murs de son théâtre, pour le plaisir de partager. La Goutte d’Or est devenu, par simple transfert de dignité, la petite Afrique parisienne. Remotiver des objets culturels mis au ban ou dispersés, les débusquer dans des huis clos en attente de passeurs… Hervé Breuil est depuis le début ce passeur de voix, de Koulsy Lamko à Mamane. C’est pourquoi je soutiens le Lavoir Moderne Parisien, au nom de toute l’équipe de La Plume Francophone.

Danielle Fournier, conseillère de Paris et élue Vert – Hervé Breuil, directeur du LMP. Photo © Célia Sadai.
COMPTE-RENDU de la Conférence de Presse du 6 Septembre 2011 à l’Olympic Café
Hervé Breuil a invité, le 6 Septembre 2011, un certain de nombre de journalistes à assister à la conférence de presse donnée à l’Olympic Café, l’annexe du Lavoir Moderne Parisien. Le directeur du LMP vient d’entamer une grève de la faim et on le sent affaibli et agité. Vous trouverez ici les informations administratives sur la situation du Lavoir Moderne Parisien qui pourrait fermer ses portes le 21 septembre prochain.
Depuis quelques années, l’émergence de petites ou moyennes structures culturelles, associatives ou non, s’est accrue : les Trois Baudets, le 104, bientôt le Louxor. Les conséquences sont paradoxalement néfastes pour des structures plus petites. Cet afflux a causé un déséquilibre dans la distribution des subventions municipales, et aujourd’hui trois lieux emblématiques en paient les frais: la Maison de l’Europe et de l’Orient, la Bellevilloise, et le Lavoir Moderne Parisien.
Il y a deux ans, le Maire de Paris a commandé un audit auprès des services d’inspection générale. Trois inspecteurs de la Ville ont, pendant sept mois, fait le bilan sur dix ans de collaboration entre le LMP et la Mairie de Paris. Au titre du fonctionnement, le LMP perçoit de la Mairie 38 000 € annuels, soit 12% du budget et quelques financements supplémentaires liés à des activités ponctuelles comme le Festival Rue Léon, dont la 12é édition est en cours.
L’audit à n’a relevé dans la comptabilité aucune irrégularité grave : le LMP est en redressement judiciaire depuis 2005, et ses comptes sont de fait extrêmement contrôlés par un administrateur judiciaire.
L’association peine aujourd’hui à trouver une solution en raison de l’accumulation des difficultés financières, entre un cumul de dettes liées à l’augmentation incessante du loyer et des charges, et des subventions dont le montant n’a pas changé depuis dix ans.
Non seulement l’administration exerce une pression forte et constante sur les gestionnaires de l’association, mais il faut aussi savoir que la création de lieux neufs comme l’Institut des Cultures d’Islam, sur le trottoir d’en face, provoque de nouvelles pressions car les lieux du LMP doivent désormais s’adapter aux normes. Or, l’Olympic Café date de 1834, le LMP date de 1950… Pour Hervé Breuil, c’est une fierté d’avoir sauvé ce lieu qui était destiné à être sacrifié sur l’autel foncier : selon lui, on devrait intégrer le théâtre au patrimoine culturel du quartier de la Goutte d’Or. De plus, en 10 ans de subventionement par la Ville, le LMP compte 154 créations théâtrales; 3 016 représentations – soit 500 par an; 38 000 spectateurs payants.
Comparant sa situation avec celle des théâtres municipaux, Hervé Breuil constate qu’ « à bilan égal on coûte 20 fois moins cher aux Parisiens », et invite à réfléchir sur le concept associatif : « Nous sommes des lieux-laboratoires. Beaucoup de nos spectacles ont été repris par des équipements municipaux et des théâtres privés, et partent en tournée en France et dans le monde entier. L’audit a été très dévalorisant et ne tient pas compte de nos réalisations artistiques. »
En date du 6 septembre, le LMP est au bord de l’expulsion: l’échéance du bail arrivera le 21 septembre prochain et l’association a 60 000 € de loyers de retard.
Laurence Angel, de la Direction des Affaires Culturelles de la Mairie de Paris, a récemment adressé une lettre d’audit, « un botin » de prescriptions et analyses pour conclure que le LMP ne correspondait pas à la politique municipale et que la Mairie allait suspendre ses subventions.
L’équipe du LMP a alors adressé 500 courriers aux élus, jusqu’à faire intervenir les représentants des Verts au Conseil de Paris pour que soit votée une subvention annuelle de fonctionnement, vitale pour le LMP.
En Juillet dernier, Danielle Fournier, co-présidente du groupe Europe Ecologie à la Mairie de Paris, a inscrit auprès de la Mairie une ligne budgétaire de 40 000 € pour faire fonctionner la structure du LMP. Présente ce jour à l’Olympic Café, elle dit regretter un contexte de politique culturelle « où l’on rogne sur tout, où l’on tronque des sommes ridicules dans des petites associations ». Selon Danielle Fournier, les subventions ont globalement diminué et seules les grosses structures s’en sortent bien, contrairement aux petites structures où le phénomène a entraîné une dégradation dramatique de la situation. Cependant elle prévient : « Il ne faut pas tomber dans l’opposition ». Certes, l’Orchestre Philarmonique de Paris reçoit de la ville 350 millions d’Euros annuels. Danielle Fournier, peu favorable aux grandes structures, rappelle pourtant que ces univers artistiques différents impliquent des fonctionnements différents. En conclusion, « le problème de Paris, c’est le problème du foncier et du loyer. »
Quelles solutions pour le LMP ? Hervé Breuil se bat pour retrouver une convention de 3 ans – il s’agit d’obtenir un partenariat avec la Ville et une reconnaissance sur la durée. Le 6 septembre, Christophe Girard (adjoint au Maire de Paris, chargé de la culture) a adressé un fax à Hervé Breuil, qui propose une subvention de 49 600 € qui serait votée au prochain Conseil de Paris le 26 septembre prochain.
Hervé Breuil reste pourtant déterminé « Cela ne suffit, nous devons aller plus loin. J’attends des solutions de l’extérieur, c’est un signal d’écoute, d’ouverture, on s’en remet aux autres et au hasard ».
Une pétition est en ligne sur le site du théâtre : www.rueleon.net
LETTRE DU 5 SEPTEMBRE 2011 D’HERVE BREUIL AU MAIRE DE PARIS
Lettre ouverte au Maire de Paris
« Monsieur le Maire de Paris,
Depuis 25 ans le Lavoir Moderne Parisien dynamise la vie artistique de ce quartier au nom de la démocratie culturelle.
A l’image de cette sixième édition du festival des cultures d’islam, crée ensemble en 2006 et repris par la Mairie de Paris, le lavoir moderne parisien est à la source de la création et inspire largement les projets de développement culturel.
Malgré un bilan reconnu par ses pairs, La Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris considère que Le Lavoir Moderne Parisien « ne correspond pas à la politique culturelle de la municipalité » et met en œuvre depuis des mois ses services pour effacer du paysage culturel Parisien ce patrimoine de la Goutte d’Or.
Et le résultat est là : le Lavoir Moderne Parisien est en survivance dans un refus obstiné de la Mairie, de répondre à nos demandes.
Quelle place reste t-il aujourd’hui pour l’action artistique, la culture populaire de quartier et la démocratie culturelle ?
Où pourront s’exprimer la créativité, le désir de civilisation, et l’identité multiple ?
De quels laboratoires émergeront les idées les talents et les formes nouvelles ?
C’est pourquoi, je demande solennellement que les pouvoirs publics prennent en considération nos demandes et répondent à nos interrogations sur l’avenir du Lavoir Moderne Parisien.
Vu l’ampleur de la situation, et me sentant personnellement blessé en tant que fondateur et directeur du Lavoir Moderne Parisien, j’ai pris la décision d’entamer une grève de la faim et de lier mon sort à cette entité culturelle, en danger.
Dans l’attente de vous rencontrer, de trouver une solution digne et viable, Monsieur le Maire de Paris, je vous prie d’agréer l’expression de ma considération distinguée.
Paris le 5 Septembre 2011
Hervé Breuil,
Directeur du Lavoir Moderne Parisien »
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