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Littératures de la « Migritude »

Migritude : regards de migrants

 par Ateufack Dongmo Rodrigue Marcel

Dans les anciennes colonies françaises de l’Afrique subsaharienne, Paradis continue de rimer avec Paris. Les raisons majeures sont sans doute d’abord économiques parce que l’Afrique continue de végéter dans la misère en dépit de ses potentialités dont l’énormité ne souffre, sur place comme ailleurs, d’aucune contestation. Historiques aussi parce que la plus grande séquelle de quatre siècles d’esclavage, suivis de plus d’un demi siècle de colonisation, c’est ce formatage de l’esprit africain à se regarder  sans cesse  d’en bas,  toujours  convaincu que l’idéal se trouve du côté de l’ancienne métropole. Ce constat dont témoigne le déferlement des africains vers la France : « Paris à tout prix[1] », est fort relayé par ce que Jacques Chevrier considère, sous le concept de « Migritude[2] », comme étant la nouvelle « génération d’écrivains et d’écrivaines[3] » africains. Mais ce déferlement vers Paris, en plus des risques désastreux qu’il comporte puisque toutes les voies, les plus illicites y comprises, sont sollicitées, se termine bien souvent par un désenchantement total car pour ces immigrés, le Paradis n’est pratiquement jamais au rendez-vous à Paris. Ainsi, de L’impasse et Agonies (Présence Africaine, 1996 et 1998) de Daniel Biyaoula jusqu’à Place des fêtes (Présence Africaine, 2001) de Sami Tchak en passant par Bleu, Blanc, Rouge (Présence Africaine,1999) de Alain Mabanckou et bien d’autres, tous ces romans de la « migritude » chantent à l’unisson le désarroi des Africains en France, leur impossible intégration dans une société où la perception du noir comme « dernier niveau de l’échelle des humanités[4] » n’a vraisemblablement pas cessé de faire des ravages.

En effet, l’atterrissage à Paris semble automatiquement s’accompagner d’une leçon d’histoire dans une classe de Blancs et Noirs, comme pour rétablir les règles de vie, qui rappelle aux uns leur place de subalternes et aux autres leur supériorité naturelle. C’est ainsi qu’au rêve et « à l’euphorie du départ vont inéluctablement succéder les désillusions d’un quotidien grisâtre fait d’attente et de besognes subalternes…[5] », d’humiliations et d’abus qui condamne les immigrés africains à vivre comme des esclaves. Du coup, le Paradis prend des allures d’enfer ou tout au moins de quelque chose de semblable « qui risque à tout moment de conduire à l’échec, à la folie ou à la déchéance[6] ».

Quand la migritude prend le sens inverse

            Tout ceci amène à s’interroger : Et si les Africains se perdaient en recherchant le Paradis ailleurs ? Cette interrogation s’impose d’autant plus qu’à côté des écrivains africains dits de « migritude » qui dépeignent, de manière réaliste ou métaphorique, leur propre mal-être en France, on a, comme dans une sorte de migritude dans le sens inverse, une écrivaine française qui chante son bien-être retrouvé en terre africaine. On tend à croire alors que les Africains délaissent ce Paradis qu’ils vont rechercher ailleurs. Il faut dire qu’il se dégage de la « migritude » une image plutôt chaotique du continent africain. Image que Ma passion africaine de Claude-Njiké Bergeret (J’ai lu, 1997), une Française au Cameroun, semble démentir formellement en adoptant un angle d’appréciation différent. Dans cette œuvre autobiographique, l’auteur dépeint une Afrique où les valeurs humaines (solidarité, fraternité, cohabitation, partage, amitié…) survivent à la pauvreté matérielle, une société où, ayant compris sa communauté de destin avec la nature, l’homme vit en harmonie avec elle, où la science a jusque là fait peu de ravages… Claude dément par ailleurs l’idée d’une culture supérieure en tournant en dérision l’attitude hégémonique de ses compatriotes dont on ne « voit pas en quoi leurs règles de vie, qu’ils cherchent à imposer aux autres, [sont] supérieures… » (p. 46).

Ma passion africaine, c’est aussi le regard franc d’une européenne sur l’histoire coloniale de l’Afrique et sur les stratégies d’hégémonie des pouvoirs coloniaux : « Quand vinrent les premiers blancs, les chefs traditionnels, « gérants » de la terre des ancêtres, leur offrirent le sommet de quelques collines. Le pouvoir colonial ne les destitua pas, mais préféra les affaiblir progressivement, en évitant les conflits frontaux. » (p. 19) L’auteur revient également sur le rôle désastreux du christianisme dans le phénomène d’acculturation des peuples et sur ces « missionnaires [qui] veulent imposer coûte que coûte leurs valeurs, leurs croyances » (p. 108) au point où « [j]amais il ne leur [viendrait] à l’idée que ces croyances, cette civilisation sont égales aux [autres] » (p. 147).

La conscience historique de la narratrice, associée à son mariage avec un chef Bamiléké[7], à sa parfaite maîtrise du Medumba[8], « qu’elle parle peut-être mieux que sa langue maternelle[9] » et à sa parfaite cohabitation avec ses coépouses (plus d’une trentaine) au sein de la chefferie, témoigne de sa parfaite intégration dans sa société d’accueil. Cela bouscule les schèmes qui véhiculent une certaine supériorité de la civilisation occidentale sur les autres civilisations et qui prônent une certaine incompatibilité culturelle entre l’Afrique et l’Occident.

À la lecture de Ma Passion Africaine et au regard des souffrances des Africains en France, on ne peut que penser que l’Afrique est un Paradis qui s’ignore, un continent où la pauvreté matérielle tend à occulter, même aux yeux de ses enfants, les vraies valeurs humaines qui y ont pourtant survécu et dans lesquelles réside le véritable bonheur. Biyaoula, qui pense « que l’avenir de l’homme c’est les Africains qui l’ont entre les mains[10] », nous conforte dans cette idée. Il faudrait cependant que les Africains en prennent conscience et cessent de verser dans ce mimétisme qui engraisse continuellement l’illusion d’un model occidental à suivre à tout prix, voir à tous les prix.


[1] Josephine Ndagnou, Paris à tout prix, long métrage, 133mn, Yaoundé, Joséphine Ndagnou, 2007.

[2] Jacques Chevrier, Littératures Francophones d’Afrique noire, Aix-en-provence, Edisud, 2006, p. 159.

[3] Ibid., p. 159.

[4] François Guiyoba, « Des antipodes à l’œcoumène : Bilan et perspectives de l’imagologie africaine en Occident » (communication pour ICLA 2004 à Hong-kong)

[5] J. Chevrier, op. cit., p. 160.

[6] Ibid., p. 162.

[7] Tribu camerounaise.

[8] Langue du Village Bangangté dans l’Ouest Cameroun.

[9] Claude Njiket-Bergeret, La sagesse de mon village, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 2000.

[10] Daniel Biyaoula, L’impasse, Paris, Présence Africaine, 1996, p. 259.

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