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Hubert Haddad, Palestine

« Le miracle d’une impossible rencontre »

par Armen Verdian

 

Cham el Nessim, littéralement « respire la brise », est une tradition païenne immémoriale qui salue le retour du printemps en Egypte. Cette fête de la renaissance est œcuménique. Célébrée à la fois par les musulmans et les coptes, elle correspond également à l’époque des Pâques juive et chrétienne, commémorations de deux résurrections : celle de l’identité du peuple juif qui s’affranchit de l’esclavage et s’exile vers le pays de Canaan, et celle du Christ qui sauve les hommes des péchés du monde.

Le roman d’Hubert Haddad s’ouvre dans une fausse lenteur, un « effet de ralenti », une respiration étouffée pressentant le déluge qui emporte très tôt le jeune Cham, soldat de Tsahal pris au piège dans une embuscade, sévèrement blessé puis enterré vivant par des activistes d’un groupuscule palestinien. Cham, prénom du fils maudit de la Bible d’avoir vu la nudité de son père Noé, en appelle alors à sa mère, puis à Mama Quilla, déesse lune des Incas, et finit par s’extirper de sa tombe. Il est recueilli dans la maison d’Asmahane, la veuve d’une figure politique arabe assassinée. Asmahane a perdu la vue par fidélité, pour sauver en elle l’image de son amant, et a perdu la trace de son fils Nessim, que tous tiennent pour mort, à l’exception de sa sœur Falastin (Palestine), qui voit sous les traits de l’étranger le visage de son frère. Un second récit commence alors – on peut presque parler de chant pour évoquer cette prose à la fois onirique et mélodieuse – celui du miracle de la résurrection de Cham en Nessim, ou plutôt en Cham-Nessim, et de son amour pour Falastin.

La relation entre Cham-Nessim et Falastin est celle de deux absents-au-monde qui se retrouvent par accident de l’histoire et dont les symboliques se complètent miraculeusement.

Falastin depuis la mort de son père en « sa douzième année, à force d’ascèse ingénue, […] n’est plus de ce monde ». Son détachement de l’existence n’est pas un abandon, mais un isolement de sa conscience dans une forteresse inexpugnable, qui fait dire à sa mère « ma fille est folle, elle s’imagine invulnérable ». Symbole de ce pays, enracinée dans l’histoire et en communion avec le peuple, elle est « la terre, [le] souffle du vent dans les amandiers, […] la grande nuit forgée d’étoiles et de songes. ». Elle embrasse sans le comprendre son destin absurde. Distante de l’instant présent, elle ne s’abandonne ni dans l’amour ni dans la haine ; immortelle « aux entrailles asséchées », d’une maigreur telle que sa beauté en devient implacable, elle est cependant le socle et la mémoire de la possibilité d’amour. En réponse à la révolte de Cham-Nessim, elle souffle dans un demi-sommeil : « Sois plutôt le maudit que celui qui maudit. […] Un jour la paix viendra et nous pourrons tous nous aimer. ».

Cham-Nessim est lui absent-au-monde-passé. Sa mort et sa résurrection le jettent « sans héritage dans un monde confus », et lui permettent de « prétendre à une liberté sans commune mesure ». Il n’est pas passé de l’autre côté du miroir, il l’a brisé. Toute l’Histoire est en lui, mais il ne sait rien, il n’est entravé par rien. Falastin demande « aimer, n’est-ce pas mourir ? » Cham-Nessim répond à l’envers : déjà mort, il peut désormais aimer, ou haïr. Près d’elle, qui est « tout l’horizon de son être », il s’abandonne corps et âme :

Une poignée de cheveux dans la main, elle avait tiré la tête de Nessim en arrière. Ses lèvres se posèrent, entières, sur celles entrouvertes de l’homme. Tu es mon frère et je t’embrasse, chuchota-t-elle souffle contre souffle. N’es-tu pas mon frère ? Je t’aime plus que la vie pour toujours ! répondit-il paupières closes.

Loin d’elle, il n’est plus « qu’une charge superflue », car « elle seule pouvait faire tressaillir en lui un reliquat d’illusion vitale. » Une charge malléable tout juste bonne à se faire sauter parmi la foule.

Le miracle et l’espoir de cette parabole apolitique et universelle, de cette prophétie peut-être, résident dans la rencontre de ces deux êtres hors du temps. La possibilité d’amour et de fraternité surgit entre les peuples lorsque l’histoire éternelle, chaotique mais distanciée (incarnée par Falastin) trouve la brise nouvelle du printemps, la bonne volonté d’une humanité régénérée qui ne s’arrête pas aux frontières et parle le langage de l’autre (Cham-Nessim).

Livrée à elle-même, sans perspective historique (donc sans Falastin), la foi naïve de Cham-Nessim ne fait que réagir à l’instant présent, s’égare, et veut répondre à l’injustice par l’injustice, perpétuant le cercle de la violence. Mais sans cette foi, élan mystérieux et gratuit libéré de tout héritage, qui se donne inconditionnellement à l’autre et jette un pont entre les destins, les histoires des deux peuples marchent en parallèle, absurdement hermétiques l’une à l’autre malgré leur proximité, et s’assèchent et perdent la tête. Cham-Nessim, redevenu Cham à la fin du roman quand il apprend que son frère Michael s’est donné la mort, ne peut s’empêcher de penser qu’il « aurait vécu s’il avait pu la rencontrer, s’il avait connu Falastin. »

Mais que devons-nous faire ici et maintenant? Faut-il se taire et se résigner à attendre le miracle d’une impossible rencontre ? Hubert Haddad met la réponse dans la bouche du Dr. Charbi, le médecin qui soigne Cham recueilli chez Asmahane, et qui fait la conversation au blessé. La veuve aveugle lui fait remarquer :

Il n’entend pas Docteur, il est trop affaibli… » Le vieux médecin se « relève de guingois, une main sur les reins. Il referme sa trousse en soupirant. Il faut toujours parler, dit-il. Aux moribonds, aux fous, aux ânes, même aux ennemis !

Hubert HADDAD, Palestine, Editions Zulma, Paris, 2008, p.10.

Id., p.39.

Id., p.52.

Id., p.63.

Id., p.35.

Id., p.109.

Id., p.118.

Id., p.85.

Id., p.110.

Id., p.105.

Id., p.128.

Id., p.155.

Id., p.31.

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