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Boubacar Boris Diop

Boubacar Boris Diop, présentation et entretien

Présentation de l’auteur

par Virginie Brinker

boubacar-boris-diopNé à Dakar, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop est l’auteur de nouvelles, de pièces de théâtre, de scenarii de films, mais surtout de romans, avec des œuvres telles Le temps de Tamango(L’Harmattan 1981; Serpent à Plumes 2002), Les traces de la meute (L’Harmattan 1993), Doomi Golo(Papyrus, 2003) et Kaveena[1] (Philippe Rey, 2006). Son dernier roman, Les petits de la guenon[2] a été publié en septembre 2009 aux Editions Philippe Rey. Il s’agit de la version française de Doomi Golo, roman en wolof que l’auteur a lui-même traduit.

          Les tambours de la mémoire (Nathan, 1987 ; L’Harmattan 1990) a obtenu le Grand Prix des Lettres du Sénégal et Le Cavalier et son ombre (Stock, 1997) le prix Tropiques. Murambi, le livre des ossements[3] (Stock, 2000) fait partie de la liste, établie par le Zimbabwe International Book Fair, des 100 meilleurs livres africains du XXème siècle. Les chorégraphes Germaine Acogny, du Sénégal, et Kota Yamasaki, du Japon, en ont fait une adaptation sous le titre Fagaala.

Ancien directeur de publication du quotidien indépendant sénégalais d’informations générales, Le Matin,Boubacar Boris Diop collabore régulièrement depuis une quinzaine d’années avec plusieurs titres réputés de la presse internationale, et il est également essayiste. Co-auteur, avec Odile Tobner et François-Xavier Verschave, de Négrophobie (Les Arènes, 2005), on lui doit aussi un essai intitulé L’Afrique au-delà du miroir (Philippe Rey, 2007). Il a également collaboré en 2008 à l’ouvrage L’Afrique répond à Sarkozy, chez le même éditeur.

          Dans ce dossier, nous vous proposons de découvrir trois de ces romans : Murambi, le livre des ossements, rédigé lors d’une résidence d’écriture au Rwanda, quelques années après le génocide des Tutsi, ainsi que ces deux romans les plus récents, Kaveena et Les petits de la guenon.

Mais auparavant, laissons parler l’auteur lui-même. Celui-ci nous a en effet très aimablement autorisés à reproduire ici certains de ces propos et nous l’en remercions chaleureusement.

Boubacar Boris Diop,

Propos choisis

A propos de l’écriture en langue française et du concept de « Francophonie »

« Je ne vois pas de véritable avenir pour la littérature africaine en dehors de nos langues. C’est d’ailleurs vers cela que nous tendons depuis quelques années, lentement mais sûrement, en réaction aux impasses et à la faiblesse d’un certain modèle de production littéraire. Cette nouvelle dynamique, complexe et parfois incertaine, permettra à terme de s’apercevoir que tous nos textes actuels en anglais ou en français n’ont été, selon une idée chère à Cheikh Anta Diop, qu’une simple littérature de transition. Cela veut dire que le roman et la poésie d’expression française auront correspondu, dans notre parcours historique, à une période de perte de repères, à un moment où le vainqueur nous a imposé ses lois et sa culture. Je ne suis pas de ceux qui pensent que nous ne nous sommes pas assez battus contre l’occupation étrangère. Nous ne nous sommes au contraire jamais complètement résignés à la défaite mais il faut bien avouer que nous avons occulté ou mal posé certaines questions essentielles. Des intellectuels africains ont ainsi pendant longtemps tourné en dérision les défenseurs des langues africaines. Comment osaient-ils, ces prétentieux, comparer la langue de Molière ou de Chaucer aux rauques sonorités de nos idiomes qualifiés pour l’occasion, avec dédain, de vernaculaires ! « Ces soi-disant nationalistes sont assurément tombés sur la tête ! » tonnaient certains. D’autres avaient une argumentation plus raffinée : « Le français n’est sans doute pas l’idéal, disaient-ils, mais il nous unifie et nous apaise alors que le diola, le moré et le fon risquent de revigorer le tribalisme et de déchirer des nations déjà bien fragiles. » Bref, après deux décennies d’indépendance la cause était presque entendue et Léopold Sédar Senghor semblait avoir définitivement remporté la partie contre Cheikh Anta Diop. Mais cette « victoire » ne nous a rien apporté. Si nous résumons en effet froidement la situation, il apparaît que l’occupant nous a fait perdre sur les deux tableaux : il a contrarié la progression de nos langues maternelles, vers l’écrit notamment, et la sienne nous est restée inaccessible. Dans mon pays, le schéma sur lequel nous fonctionnons est d’une parfaite absurdité : 95 % de Sénégalais sont analphabètes en français. Parmi les 5 % restants beaucoup, qui méprisent leur langue maternelle, ne maîtrisent pas pour autant le français… »

« A mon avis nous devons nous battre avec patience et lucidité pour le développement de nos propres langues. C’est une simple affaire de bon sens. Du reste la réalité sur le terrain nous presse de plus en plus vivement d’aller dans cette direction car les langues africaines, qui n’ont rien perdu de leur vitalité, reviennent partout en force. Nous nous rapprochons chaque jour un peu plus du moment où le pulaar et le wolof – pour ne citer que ces deux exemples – s’imposeront d’eux-mêmes dans nos écoles et dans notre création littéraire. Au fond, le seul moyen qu’avait le colonisateur pour faire disparaître les langues africaines, c’était la scolarisation universelle en français. Or la France n’en avait ni les moyens ni peut-être même la volonté politique. Elle a réservé sa langue à l’élite colonisée en espérant que cette dernière tirerait le reste de la société. Nous voyons le contraire se produire sous nos yeux : le français est en très net recul et dire aujourd’hui que le Sénégal est un pays francophone, c’est prendre ses désirs pour la réalité. Et en tant que romancier, je sais bien que seule ma langue maternelle me permet d’exprimer de façon adéquate ce que je ressens au plus profond de moi-même. Beaucoup d’auteurs africains qui en doutaient auparavant commencent à accepter cette évidence. »

A propos des postures de l’écrivain, de la rédaction de romans à la rédaction d’essais

            « Dans certaines parties du monde, il est difficile de considérer la littérature comme un simple divertissement. Si on est issu, comme moi-même, d’un milieu relativement modeste, on se sent très vite poussé à écrire pour lutter contre les inégalités sociales, parfois si terriblement humiliantes pour les plus pauvres. Mais peu à peu on se rend compte à quel point il est naïf, voire risible, de prétendre changer le monde par la seule fiction. Vient un moment où on la délaisse au profit d’interventions plus concrètes. La pression des médias étant toujours plus forte, il faut répondre à des interviews ou signer des pétitions et on est amené à s’exprimer de plus en plus directement dans la presse ou à l’occasion de conférences publiques. C’est ainsi qu’en juin 2005 Odile TobnerFrançois-Xavier Verschave et moi-même avons publié Négrophobie. Ça a été une réaction concertée au livre raciste et révisionniste du journaliste français Stephen Smith, un ouvrage qui a eu, il importe de le souligner, un énorme et inquiétant succès de librairie en France. Plus tard ma réponse au discours délirant du président français en juillet 2007 à Dakar est devenue un des vingt-trois textes de L’Afrique répond à Sarkozy. Tous mes articles sur le Rwanda ont été écrits avec la même volonté de rester en phase avec le réel. A présent j’alterne les deux genres même si je continue à me sentir romancier dans l’âme. »

A propos de la politique européenne en matière d’immigration

          « Le continent qui est resté le moins « tranquille » au cours de l’histoire humaine, c’est bien l’Europe. Il suffit de lire attentivement une carte pour s’en convaincre : du Brésil au Mexique, de l’Australie au Canada, en passant par les USA, bien des pays sont nés d’un coup de force de l’Europe, elle s’est emparée violemment de territoires immenses et en a détruit avec une rare cruauté les peuples autochtones. Pour ce qui est de l’Afrique, l’Europe ne s’y est pas en général installée mais elle y a durablement semé les germes du chaos par la Traite négrière et la colonisation. Et si on laisse de côté ces considérations historiques pas politiquement correctes, il faut tout de même rappeler que les jeunes Européens ont été très souvent poussés par la misère à aller s’installer ailleurs, exactement comme le font les migrants africains ou asiatiques d’aujourd’hui. Au début du siècle dernier, Espagnols, Italiens, Yougoslaves, Portugais et Suisses fuyaient la guerre et des contrées désolées pour aller refaire leur vie dans les pays voisins ou en Amérique. Alors, pourquoi l’Europe a-t-elle la mémoire si courte ? Si les jeunes Irakiens, Algériens ou Sénégalais pouvaient avoir une vie décente chez eux, ils n’auraient pas défié mille dangers pour émigrer à Barcelone ou à Brescia. Les dirigeants des pays d’émigration, en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, sont les premiers responsables de cette situation, car ce sont de vrais prédateurs de leurs économies. Il ne faut toutefois pas oublier qu’ils pillent leurs ressources en totale complicité avec les multinationales et avec nombre de ces politiciens européens qui disent ensuite avec une incroyable hypocrisie : « Les immigrés nous envahissent, fermons vite nos frontières ! » Vous savez, bien des jeunes Maliens, par exemple, se sont retrouvés au chômage quand la filière coton a été littéralement anéantie chez eux : les grands pays occidentaux, qui subventionnent leurs propres producteurs de coton, interdisent en même temps au gouvernement malien d’en faire autant. La concurrence est faussée, des usines textiles ferment et des milliers de jeunes gens se retrouvent à la rue du jour au lendemain… Que veut-on qu’ils fassent ? Moins d’égoïsme et un ordre international plus juste seraient un bon début de solution à un phénomène global, qui se traduit à Ceuta et Melilla ou à Lampedusa par d’affreuses tragédies collectives. Les mesures xénophobes que l’on prend ici et là en Europe pour tromper les électeurs sèment la haine dans les cœurs et sont de toute façon totalement inefficaces. »


[1] Voir notre article dans ce dossier.

[2] Voir notre article dans ce dossier.

[3] Voir l’article d’Ali Chibani dans ce dossier.

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Rétroliens/Pings

  1. Pingback: Boubacar Boris Diop, présentation et entretien - Wikisenegal - 5 juillet 2021

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