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Dossiers auteurs, Patrick Chamoiseau

Patrick Chamoiseau, A bout d’enfance

« Vivre pour survivre »

par Ali Chibani

chamoiseau_aboutdenfanceAprès Antan d’enfance et Chemin-d’école, A bout d’enfance[1] est le dernier titre d’une trilogie intitulée Une enfance créole dont Patrick Chamoiseau a entreprits la réalisation en 1990. Dans cette œuvre, l’auteur martiniquais revient sur l’entrée du négrillon dans l’adolescence « … Où défaille l’enfance[2]… ». Patrick Chamoiseau fait là un travail mémoriel considérable où nostalgie et tendresse tissent le récit, avec le fil des « souvenirs-écrans », de ce qui est à l’origine de sa carrière d’écrivain : « …Et toi, mémoire (…) ce que tu conserves s’est dissous dans mon être comme pour me constituer en restant hors d’atteinte[3]… ». Ce parcours vers la naissance vise donc la découverte de soi et de l’absolu – primordial et manquant – dans la vie d’un homme. Néanmoins, il ne faut pas s’attendre à un récit autobiographique fidèle à la réalité. L’auteur lui-même refuse d’établir un quelconque pacte de fidélité avec son lectorat et inscrit les événements rapportés dans l’incertitude et la nécessité : « Et te voilà t’accoutumant, se dit-il, à ces franges incertaines où tu t’efforces de vivre pour survivre vaille que vaille[4]… ».

Dans la période charnière qui sépare enfance et adolescence, le négrillon découvre, avec un nouvel œil, le monde, ses peines et ses plaisirs, sa beauté et son injustice. L’enfant prend conscience de son corps et du corps d’autrui, d’où un certain nombre de nouvelles épreuves – historiques ou existentielles – qu’il doit affronter. Sa première épreuve est de fracasser le « Non » qu’on lui oppose sans cesse. Il doit ensuite divorcer d’avec sa conception de l’organisation sociale en quatre classes et « réorganiser sa typologie du monde[5] ». Le négrillon établit ses « Commandements » pour cohabiter avec les adultes. Il préconise par exemple la suppression de « … la langue française qui devient patate chaude dans la bouche des êtres humains[6] ». Tout cela avant de découvrir un autre rapport au monde, rapport régi par la femme, à la fois belle et imposante, qui tue comme elle sauve.

La découverte de l’« ordre et désordre du monde » est narrée avec tendresse et nostalgie. Il s’agit pour l’auteur de revenir sur un fâcheux arrachement temporel naturel. L’écrivain continue à subir l’assaut des « milles sentiments contradictoires » que son imagination lui faisait vivre enfant « mais il parvient, en bel athlète des émotions, à les désamorcer par un calme de façade, et à les sublimer vaille que vaille dans l’écrire[7]… ». S’il n’y a rien d’original dans la manière de procéder pour rendre compte de « … ce clignotement de la mémoire soumis à des odeurs, des associations, des sensations, et des reconstructions[8]… », Patrick Chamoiseau s’approprie, comme toujours, la langue française qu’il imprègne de son identité martiniquaise.

La langue devient lieu de confluence d’identités et d’histoires, un lieu où l’hybridité ne fait pas peur mais, au contraire, rassure. La langue devient ainsi la métaphore de notre existence qui ne saurait avoir un sens sans les autres qui la font et la défont. A bout d’enfance n’est donc pas le récit d’une enfance mais bel et bien celui de « …la plus longue des quêtes : celle de l’humanité sur les traces de la scène primitive – laquelle ouvre toujours à bien des achèvements[9]… ».


[1] Patrick Chamoiseau, A bout d’enfance, Paris, Gallimard, 2005, 284 pages.
[2] Ibid., p. 30.
[3] Ibid., p. 72.
[4] Ibid., p. 76.
[5] Ibid., p. 107.
[6] Ibid., p. 29.
[7] Ibid., p. 20.
[8] Ibid., p. 101.
[9] Ibid., p. 179.

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