Récit filmique d’une émancipation
par Virginie Brinker
« T’es pas africaine ! »
Tout commence à l’école comme souvent… En tant que creuset de la construction de l’identité sociale, mais aussi individuelle, celle-ci joue un rôle de révélateur. « T’es pas africaine ! », s’écrie Elodie, la copine de Sofia. Il ne s’agit pas d’elle, en effet, mais de l’origine de ses ancêtres, distinction que la jeune Sofia opère parfaitement et avec sérénité. Le discours de sa mère, un après-midi en famille au bord du lac, vient toutefois brouiller les frontières et semer le trouble : « N’oublie pas que tu es du pays de tes grands-parents ».
Ce sont d’ailleurs les parents, assaillis par les dettes et l’absence de reconnaissance, qui précipitent le départ de la petite famille pour le Maroc. Les parents comme les enfants sont pourtant tous français, mais aucun d’eux, à l’exception de Sofia, semble-t-il, ne se sent bien en France. « Qu’est-ce que vous croyez, pour eux on sera jamais des Français » explique son père à Rachid. La mère de Sofia lui donnera également à la fin du film cette explication : « Je ne pensais pas que ce serait si dur pour toi. Mais ici on est chez nous. Je ne voulais pas qu’on regarde mes enfants de travers ».
Mémoires d’une jeune fille rangée
Plus qu’un film sur l’émigration ou le conflit identitaire, Française parle des femmes. Le féminin du titre n’est en effet pas anodin du tout. Le parallèle ici avec Simone de Beauvoir, outre le clin d’œil du sous-titre choisi, repose sur l’importance des livres et de l’instruction pour les deux héroïnes.
Sofia au Maroc est filmée en train de lire, d’étudier au milieu de livres. Elle se console en lisant le poème « L’Invitation au Voyage » de Baudelaire. Elle travaille dur pour pouvoir obtenir ses examens et rentrer en France. Elle est la preuve que l’émancipation passe par l’instruction et elle l’a parfaitement compris, comme le montre la scène où elle veut apprendre à écrire à une jeune ouvrière marocaine pour qu’elle puisse prendre la place de sa sœur Fouzia qui va se marier.
C’est d’ailleurs ce que lui jettent aux visages les autres femmes qui ont fait d’autres choix qu’elle, que ce soit sa mère, Fouzia ou encore, contre toute attente, son ami Touria, dans un triple amalgame, le soir de la crise : « Tu frimes avec tes cours, tu frimes avec Amar, tu frimes avec la France ».
Parabole sur l’adolescence
Si Française est un film si touchant, c’est précisément car le film, tout en traitant avec nuance et finesse les thématiques du déchirement identitaire et de l’exil, les dépasse. En effet, les différentes courses de Sofia (pour monter dans la voiture de son père, pour sortir de la voiture d’Amar, pour sauter du tracteur et finalement pour s’échapper du foyer pour jeunes filles de Mme Latkani) sont autant de tentatives d’échappées vers la liberté, c’est-à-dire l’épanouissement personnel. Le motif de la course est le pendant de celui des grilles qui enferment la jeune Sofia dans un cadre, un moule, une condition. Qu’il s’agisse du gros-plan du visage de Sofia derrière les rayures du pare-brise de la voiture paternelle en partance pour le Maroc, ou de celui de la jeune femme derrière les grilles de la fenêtre de la salle de bains après sa fugue ratée, ces traits qui rayent le cadre miment les barreaux de la triple prison qui enferme Sofia : son origine marocaine, sa condition de femme, son statut d’adolescente dépendante des choix de ses parents.
On voit d’ailleurs combien le dernier carcan est en fait celui qui conditionne tous les autres. Une fois sa liberté, c’est-à-dire son indépendance, conquise à la fin du film, Sofia peut alors pleinement assumer ses choix de vie et sa personnalité. C’est cette Sofia-là, déambulant dans les rues le sourire aux lèvres, qui est donnée à admirer au spectateur qui peut projeter ses aspirations et ses rêves les plus fous dans ce personnage si commun et pourtant hors du commun.
Date de sortie : 28 Mai 2008
Réalisé par Souad El-Bouhati
Avec Hafsia Herzi, Farida Khelfa, Maher Kamoun
Film français, marocain.
Durée : 1h 24min.
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