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Comptes-rendus de lecture, Guerre d'Algérie

Marcel Gozzi, La Jeunesse d’Albert. De la Bretagne à l’Algérie.

« Guerre d’Algérie : tourner la page »
par Ali Chibani

 https://i0.wp.com/ecx.images-amazon.com/images/I/51xNLqblHcL._SL500_AA300_.jpg« Quand il pleuvait, la terre [à Aït Ouertilane en Kabylie] devenait collante, agressive. L’argile adhérait aux semelles de nos chaussures. Et nos “godasses” triplaient de poids. » Pour les anciens soldats français, la guerre d’Algérie est comme cette terre argileuse : elle pèse sur leurs mémoires et les obsède toujours.

Dans La Jeunesse d’Albert, « De la Bretagne à l’Algérie »1, Marcel Gozzi, indigné par les nostalgiques de l’Algérie française, recueille le témoignage de son ami Albert Naour. Ce dernier évoque pour la première fois de sa vie toute son histoire de soldat français en Algérie. Incompris par les siens après son retour en Bretagne en 1957, il a opté pour le silence et les nuits de veilles, harcelé par ses mauvais souvenirs.


Malgré nous

Albert Naour a quitté son village natal, Kerenguen en Bretagne, à l’âge de 20 ans pour effectuer son service militaire en Métropole. Il est finalement affecté à Saumur d’où il sera envoyé en Algérie, précisément dans les Aurès puis en Kabylie, les foyers les plus ardents de la guerre. Il est choisi à la dernière minute pour remplacer un appelé devenu père : « Bombardé pompeusement chef de famille, il était exempté d’Algérie » (p. 95). Le malheureux Albert Naour est affecté au 4ème dragons dans un pays où la tête de tous les soldats est mise à prix par les hommes de l’ALN.

Dès son départ sur le Ville d’Alger, le jeune officier sait que la patrie le soumet à un service injuste. Son histoire bretonne le rend plus lucide pour comprendre le peuple algérien :

Des hommes politiques avaient proclamé la main sur le cœur : « L’Algérie, c’est la France. » Mais nous, les Bretons, nous savions que ce n’était pas vrai. La « colonie » était une terre d’occupation et d’exploitation des indigènes. (…) Nous les appelés du contingent, bientôt chargés du « maintien de l’ordre » (quel ordre ?), jetés contre notre gré sur cette terre hostile, pour les besoins de la « pacification », nous y allions le cœur gros, résignés et contraints. (p. 98)

Arrivés en Algérie comme « des moutons à l’abattoir », les soldats français, parmi lesquels Albert Naour, ignorent tout de la situation du pays. Ils découvrent « le malheur de tout un peuple asservi, son dénuement et sa misère. Et pire encore : le mépris et la haine dont il était l’objet. Et c’était réciproque » (p. 102).

La suite du parcours sera celle de tous les soldats français à la seule différence que certains parmi eux agissaient volontiers, avec plaisir, quand d’autres agissaient malgré eux et dans la souffrance. Le destin d’un appelé français en opération en Algérie est d’obéir aux ordres : tirer sur tout ce qui bouge, brûler, bombarder, exterminer et raser des villages entiers… Certains soldats, qui dégoûtaient Albert Naour par leur folie, agrémentaient leurs quotidiens d’autres plaisirs comme le vol ou le viol.


Un langage de façade

Albert Naour est marqué par la terminologie coloniale édulcorée pour désigner la guerre. L’ancien de l’AFN n’est pas dupe d’autant plus qu’il compare la guerre d’Algérie à la seconde guerre mondiale dont il se souvient :

Nous luttions contre des combattants appelés à tort “rebelles”. C’était une lutte sans merci. Mais en notre âme et conscience, nous savions que leur cause était juste. Enfants, nous avions connu la guerre et la Résistance. Des membres de notre famille avaient été aussi des “rebelles”. Les Allemands les appelaient “Terrorist”. Nos parents les hébergeaient et les assistaient dans leur juste combat, comme les villageois d’ici soutenaient, à leurs risques et périls, les combattants du FLN. (p. 115)

Le soldat Albert Naour développe une forme de résistance contre l’idéologie colonialiste. Cette résistance se manifeste dans son refus d’user des mêmes termes que ses supérieurs : « Il était de bon ton, chez les gradés, de désigner l’adversaire par le nom de « fellagha », ce qui veut dire terroriste, dans la langue du pays. Eh bien moi, j’ai banni ce mot de mon vocabulaire. (…) J’ai toujours considéré que nos adversaires combattaient pour gagner leur liberté et défendre leur pays » (p. 106). En effet, les chefs militaires français rivalisaient d’ingéniosité pour enrober le crime de belles références : « … on nous désigne pour participer à une opération. Elle s’appelle “Espérance”. Beau nom ! Mais quelle galère ! Je l’appellerais plus volontiers : désespérance. » (p. 110) Et quand à la fin de l’opération on établit le bilan de « … “55 rebelles (…) mis hors de combat”. Il faut traduire : exécutés sans procès ni jugement » (p. 113).


Les retours

En plus des faussaires qu’étaient certains hauts gradés et les politiciens, Albert Naour est déçu par les siens. Il se souvient particulièrement de son retour en Bretagne. Ni sa famille, ni ses amis n’étaient prêts à savoir la réalité de la guerre d’Algérie. « Leur monde était à cent lieues du mien, commente M. Naour. Ils ne m’ont pas compris ni aidé moralement. Alors, je me suis tu » (p. 136). Après sa libération en 1957, Albert Naour se souvient qu’aucune aide psychologique ne leur est fournie par « la patrie ». En France, il se sent abandonné.

Quarante-huit ans plus tard, Albert Naour pense à ce camarade qui s’est enfermé après son retour d’Algérie avant de se donner la mort. Il pense à cet autre camarade interner dans un hôpital psychiatrique à cause des séquelles d’une guerre inutile. Il se demande aussi combien d’anciens soldats se sont donné la mort ou sont internés. Quant à lui, il voudrait repartir en Kabylie pour observer un long moment de silence et honorer « tous les morts, sans distinction » (p. 246). En attendant, il continue de s’interroger sur son passé : « POURQUOI ? »

A cette question, le lecteur cherchera la réponse dans La Jeunesse d’Albert, livre terrifiant par les événements rapportés et émouvants par le ton de l’ancien soldat qui refusait de tirer sur ses « ennemis » au péril de sa vie. Un bon exemple de courage !

1 Marcel Gozzi, La Jeunesse d’Albert, « De la Bretagne à l’Algérie », Le Faouet, Liv’editions, 2007, 224 pages, 23 euros.

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