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Nancy Huston

Nancy Huston, La virevolte

« La seule vraie tristesse est dans l’absence de désir » (Charles-Ferdinand Ramuz)

par Sandrine Meslet

Le lien que j’avais, petite, avec ma mère était un lien d’absence, exclusivement nourri d’imaginaire et d’évocations à travers ses lettres, ses mots. 

Nancy Huston

Nancy Huston publie La virevolte son cinquième roman en 1994 dont le sujet, délicat à bien des égards, est porté par un style s’inspirant librement de la prose poétique. Dès les premières pages du roman, le personnage de Lin apparaît à un moment clef de sa vie de femme puisque le lecteur assiste à l’intimité de son premier accouchement. Tout au long du récit nous avons accès de manière directe à ses pensées, à ses peurs, ainsi qu’à la lassitude qui envahit peu à peu son quotidien. La tentation de l’adultère fait partie de ses questionnements, mais plus largement la possibilité d’un adultère met l’accent sur la disparition de la sensualité dans la vie de Lin et son besoin de reconquête.

L’intimité du couple : entre dérives sensuelles et fausses appartenances

Nancy-Huston-la-virevolteLe couple formé par Lin et Derek intrigue : leur intimité est ainsi décrite avec une grande précision peut-être afin de mieux en illustrer la disparition. Les scènes d’intimité lors de la naissance d’Angela, leur première fille, laissent place au vide et s’acheminent vers une petite mort à la naissance de leur seconde fille, Marina. L’enfant sépare les êtres incertains et le couple, en proie au doute, rend l’enfance de Marina coupable ; le conflit qui se noue autour de cette dernière illustre à lui seul le défaut de communication dans un couple et les petits arrangements à la semaine qui le conduisent à l’impasse. Nancy Huston perçoit avec acuité le malentendu du couple et de la maternité à travers la place accordée aux enfants et à leurs paroles. A l’ouverture du roman, le corps en souffrance expulse au dehors l’inconnu familier que le personnage de Lin peine à envisager et les saisons qui passent ne lui permettent pas de mieux appréhender cette maternité. La vie de couple, de femme et de mère ne remplissent plus sa vie. Il est bientôt l’heure de tracer un premier et bien maigre bilan d’où son seul véritable amour est exclu : la danse. Lin est une femme en qui sommeille un autre désir, que l’enfantement n’a pas vaincu, ce besoin incontournable de redécouvrir son corps et de le plier au destin de la danse. La virevolte se présente comme le roman de l’étouffement et de l’enfance non digérée, il est le long cri d’une femme muette, dont le naufrage ne semble pas visible même aux yeux de celui qui partage ses nuits. Cette solitude de la féminité rappelle les romans[1] de Simone de Beauvoir dans lesquelles des héroïnes tentent de trouver un sens à leur vie aux prises avec des contingences sociales qui les dépassent. Le personnage de Lin, lui, apparaît beaucoup plus libre en s’offrant une issue : la virevolte.

Le corps absent

Un troisième accouchement est en gestation dans le roman et Lin le dévoile au moment de son départ, mais cette fois il s’analyse comme une reconquête du corps et non plus comme une perte. Lin se réapproprie son corps qui lui semblait autre, en devenir d’étrangeté, par l’intermédiaire de la danse, cruelle maîtresse, à laquelle il faut savoir tout sacrifier. Le corps de la mère disparaît aux yeux des fillettes mais il renaît pour Lin ; elle redécouvre son corps en s’éloignant de celles qu’ils l’ont emprisonné, bouleversé. Le personnage quitte une prison et sa démarche est d’ordre vital. Le traitement de la maternité sous l’angle de la déformation, de l’aliénation laissent entrevoir la complexité du devenir mère lorsque ressurgissent les traumatismes de l’enfance. Lin revit aussi son enfance à travers ses filles et elle s’enfuit pour ne pas avoir à la revivre et à se confronter à elle. Il est des départs qui ressemblent à des fuites. On regrette toutefois de voir le rythme du roman s’accélérer et se contenter d’esquisser l’existence de ses personnages en ne rendant pas compte, avec plus de précision, du bouleversement causé par le départ de Lin. La transmission mère-fille mise en péril prend un nouveau souffle lorsqu’Angela et Marina deviennent femmes à leur tour et que la première s’apprête à devenir mère. Cependant la question centrale du roman se concentre autour de la dialectique de l’abandon, Lin trahit ses filles en les abandonnant mais c’est aussi son propre corps qu’elle trahissait en restant. Il n’y avait donc ni d’issue possible, ni de choix heureux.

A nous de conclure que l’héroïne moderne reste prisonnière de son destin et doit renoncer à faire le bon choix étant donné qu’il n’existe pas, pas même dans les romans. Ainsi Lin rejoint les personnages beauvoiriens de Laurence et Monique, en proie à l’inconnu du destin et au peu de manœuvre qu’il laisse. Ne demeure que l’évidence de la souffrance et la  nécessité de changer sa situation quelles qu’en soient les conséquences.


[1] Simone de Beauvoir, Les Belles images, Gallimard, Paris, 1966

Simone de Beauvoir, La femme rompue, Gallimard, Paris, 1967

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