Yasmina Khadra, Les hirondelles de Kaboul, L’attentat, Les sirènes de Bagdad
« Un triple coup de cœur »
par Jessica Falot
C’est en humaniste en quête de vérité que Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, ancien militaire algérien reconverti en écrivain de langue française, s’est lancé dans cette trilogie consacrée au dialogue de sourds opposant l’Orient et l’Occident. Trois romans à travers lesquels il parcourt toutes les voies de l’enfer auxquelles mènent l’intolérance, le fanatisme et la haine. Trois romans qui lui permettent d’aborder également les sujets universels de l’identité, du poids des rêves et de la tentation de la facilité.
Le premier roman, Les hirondelles de Kaboul, paru en 2002 aux éditions Julliard, raconte la vie de deux couples habitant la ville pendant le règne des talibans. D’un côté il y a Atiq, qui fait partie de la milice des talibans, espérant que leur vision de la religion peut améliorer le sort des afghans et son épouse, Mussarat, qui est infirmière. De l’autre côté, on découvre Mohsen et sa femme, Zunaira, deux universitaires qui ont tout perdu lorsque les talibans ont pris le pouvoir.
Ce récit, cruel et lucide, raconte leur désespoir, la perte de leurs illusions, la difficulté pour les deux femmes à vivre dans des conditions où on ne leur reconnaît aucun droit. Il aborde tous les thèmes de l’oppression : la banalité du mal, l’hystérie des foules, la puissance du sacrifice, l’ombre de la mort et surtout le règne de l’absurde. Sur ce dernier point, le rapprochement entre l’auteur et Albert Camus est explicite.
Mais l’histoire n’est pas totalement noire car bien que Kaboul soit devenue « l’antichambre de l’au-delà. Une antichambre obscure où les repères sont falsifiés ; un calvaire pudibond ; une insoutenable latence observée dans la plus stricte intimité » (p. 12), l’espoir s’entête grâce à l’amour qu’éprouvent les personnages.
Dans L’attentat, publié en 2005 chez le même éditeur, Yasmina Khadra entraîne le lecteur au cœur du conflit israélo-palestinien à travers deux personnages centraux, à savoir Amine, chirurgien israélien, d’origine palestinienne qui a toujours refusé de prendre parti dans la lutte qui oppose son peuple d’origine et son peuple d’adoption et sa femme Sihem qu’il adore. Un jour, Tel Aviv est secouée par un attentat commis dans un restaurant par un kamikaze, faisant ainsi de très nombreuses victimes. Après avoir opéré toute la journée les blessés, Amine rentre chez lui et espère trouver du réconfort auprès de son épouse. Mais un coup de fil lui apprend qu’elle est morte sur les lieux de l’attentat et qu’elle est soupçonnée d’être l’auteur de la tuerie. Refusant d’y croire, Amine se lance dans une quête où il se verra contraint d’écouter la plus dure des vérités.
Une fois encore, l’auteur confirme son art magistral de se saisir d’un sujet brûlant et de le mettre en scène jusque dans ses plus insupportables contradictions. C’est sans doute pour cette raison que le livre a connu un énorme succès auprès du public (prix des libraires 2006, prix tropiques 2006 et actuellement en cours d’adaptation cinématographique aux Etats-Unis) mais qu’il a également reçu des réactions hostiles de la part de certains cercles juifs sionistes et arabes.
Enfin, Les sirènes de Bagdad (2006, même éditeur) raconte le mécanisme qui transforme un jeune bédouin irakien plutôt timoré en une machine de guerre. Celui-ci se voit tiré d’une enfance heureuse et pacifiste lors de l’intervention brutale des GI dans son village, durant laquelle son père est humilié. Il décide alors de fuir et de se rendre à Bagdad :
« Je sus que plus rien ne serait comme avant, que, tôt ou tard, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, j’étais condamné à laver l’affront dans le sang. (…) J’étais un bédouin et aucun bédouin ne peut composer avec une offense sans que le sang soit versé.»
Il se retrouve dans une ville déchirée par la guerre civile. Sans ressources, sans repères, miné par la honte, il devient une proie rêvée pour les islamistes radicaux auxquels il propose de devenir kamikaze.
Ce récit est une brillante description de la chute vers le désespoir, de la fragilisation d’un être privé de sa fierté et de la tentation de se perdre, d’anesthésier la douleur dans l’anéantissement de l’autre et de soi.
Ce voyage initiatique au cœur du terrorisme est scandé dans un style guerrier, haletant et viril mais également métaphorique et lyrique. C’est d’ailleurs ce qui impressionne chez Yasmina Khadra, sa faculté à allier le dépouillement stylistique au lyrisme poétique, sa manière de faire naître des images insoutenables et pourtant belles dans leur atrocité afin de montrer toute leur nuance.
A travers cette trilogie, l’auteur s’est brillamment assigné la tâche de sensibiliser et de faire réfléchir le lecteur sur les conflits armés actuels et notamment le lectorat occidental. Selon lui, projeter ce dernier dans l’Afghanistan des talibans, le conflit israélo-palestinien ou l’Irak d’aujourd’hui permet de lui donner un accès plus direct à la mentalité orientale. Au-delà de cette connaissance de l’histoire, nous retiendrons de ce triptyque romanesque une réflexion subtile et juste sur la fragilité de notre humanité.
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