Retour au pays natal :
L’impossible réconciliation avec la mère
par Ali Chibani
Dans La Terre et le Sang[1], Amer-ou-Kaci a quitté très jeune sa Kabylie natale pour aller travailler dans les mines françaises. Arrivé en pays d’exil, il décide de ne plus revenir dans son village et oublie ses parents dont il est le fils unique. Pour eux, celui qui est parti travailler pour préserver leurs derniers jours du dénuement n’est plus qu’« un enjeu perdu ». Quelques années plus tard, il revient dans son village. Son père est décédé ; sa mère a connu la famine et le froid mais a vécu dignement de son travail.
Le retour d’Amer en Kabylie veut rompre avec l’expérience ratée de l’exil. Ce retour s’avère être un mauvais choix car, désormais, il doit payer sa dette. En France, dans les mines du Nord, Amer tue accidentellement son oncle Rabah dont la famille fait semblant de pardonner au cousin son crime involontaire et sa trahison, à l’exception de l’oncle Slimane – frère du défunt – pour qui le retour de l’exilé est inespéré.
Fidèle à la linéarité et au réalisme de ses récits, MouloudFeraoun construit son roman autour des isotopies de la « terre » et du « sang ». Amer a rompu le lien ombilical avec sa terre et a laissé s’échapper son sang. Il doit maintenant les reconquérir. À son insu, il se coupera définitivement de la première et profanera encore une fois le second.
Histoire vraie
L’auteur insiste sur la réalité de son histoire. D’emblée, il annonce : « L’histoire qui va suivre a été réellement vécue dans un coin de Kabylie… » (p. 11). Il attire immédiatement après notre attention sur la banalité du lieu et des personnages qui y vivent. « Tout au plus, pourrait-on s’étonner que l’un d’entre eux soit une Parisienne. Comment supposé, en effet, qu’à Ighil-Nezman, puisse vivre cloîtrée une Française de Paris ? » Cela répond à la volonté de MouloudFeraoun de dresser un portrait tendre mais véridique de ce qu’est son espace natal, la Kabylie. Au niveau diégétique, Ighil-Nezman est le chronotope (conditions spatiales et temporelles) qui met en image la destinée du récit :
Le village est assez laid, il faut en convenir. On doit l’imaginer plaqué au haut d’une colline, telle une grosse calotte blanchâtre et frangée d’un monceau de verdure. La route serpente avec mauvaise grâce avant d’y arriver. Elle part de la ville, cette route, et il faut deux heures pour la parcourir quand l’auto est solide. On roule d’abord sur un tronçon caillassé, bien entretenu, puis après, c’est fini : on change de commune. On s’engage, selon le temps, dans la poussière ou la boue, on monte, on monte, on zigzague follement au-dessus des précipices. On s’arrête pour souffler, on cale les roues, on remplit le réservoir. Puis on monte, on monte encore. Ordinairement, après avoir passé les virages dangereux et les ponts étroits, on arrive enfin. On fait une entrée bruyante et triomphale au village d’Ighil-Nezman. (p. 11)
La répétition du substantif « route », appuyé par l’adjectif démonstratif « cette », donne à cet extrait toute son épaisseur et l’établit définitivement comme mise en abyme de l’œuvre. Celle-ci met en scène une histoire « assez laide », dans un coin isolé ou, comme dirait MouloudMammeri, dans une « Colline oubliée[2] », assez ascétique ou le rêve est à peine permis. Ses habitants sont acculés à la réalité et le temps de rêver ne prend dans leur vie que l’espace de ce « monceau de verdure » sur la colline : « un Kabyle, chez lui, est forcément un homme réaliste. » (p. 20). La destinée de l’œuvre nous fait passer par plusieurs lieux, plusieurs niveaux de passion. Si l’œuvre commence et se termine sur deux tragédies qui exacerbent la tension dans les relations entre les personnages et la relation du lecteur avec l’œuvre, elle connaît toutefois un apaisement au milieu du parcours. On change alors, non pas de commune, mais de lieu commun. En effet, la première tragédie a ouvert la voie pour une quête de la terre chez Amer. Mais celui-ci comprendra rapidement qu’elle l’a oublié ce qui met fin à la paix de sa conscience d’enfant ayant retrouvé son pays. Il vit de nouveau le choc d’être étranger et part à la quête, non plus de sa terre, mais de son sang, favorisant ainsi la « catastrophe » qu’il voulait repousser.
Là où j’espérais l’éclaircie, j’ai trouvé une pluie battante[3]
C’est pour fuir la promiscuité des chambres d’hôtels parisiens, les contre-maîtres et les mauvais souvenirs qu’Amer et Marie ont décidé de s’installer en Kabylie. Ils re-trouvent un village pauvre – on est sous le colonialisme – où ils vont mener une vie de « petits-bourgeois […], ces gros fainéants de paradis qui peuvent faire travailler leur champ, paient une porteuse d’eau et achètent leur bois au lieu de couper un arbre. » (p. 167) C’est le genre de vie qui leur était refusé en France. En effet, ils arrivent avec toutes leurs économies. Mouloud Feraoun rappelle ici que, pour la société kabyle comme d’ailleurs pour toutes les sociétés des pays en développement, un émigré qui réussit est un émigré qui revient les poches pleines : « On le tâte, on le jauge, on l’estime et, en attendant, de déterminer le degré de considération qui lui est due proportionnellement à sa bourse, on reste aimable et affectueux. » (p. 18) Le respect dont lui feront montre ses compatriotes au pays est relatif à sa richesse (voir notre dossier n° 31).
Si Amer est fier de sa nouvelle situation, il est encore plus satisfait de constater qu’il lui a suffi de deux ans pour redevenir ce Kabyle qu’il a été. D’ailleurs, dès son arrivée au village natal, il sent que « Tous les devoirs dont il s’était brutalement délivré en s’en allant l’emmaillotent à nouveau, aussi nombreux, aussi fermes que s’ils ne s’en était jamais débarrassé. Il se reprend à aimer ou à haïr, à imiter ou à envier, à croire et à agir selon des directives précises, particulières à sa famille et à sa karouba. » (p. 20). Amer-ou-Kaci « comprend nettement qu’il redevient l’enfant du pays, sans transition. » (p. 17) L’émigré kabyle renoue les liens avec sa terre, des liens qui se manifestent à travers l’immersion dans la sagesse ancestrale transformant le rapport au monde et à la mort : « Bien entendu, l’attente n’est pas indéfinie car, quand quelqu’un meurt dans sa misère, sans aucune compensation, nous sommes convaincus que c’est la mort elle-même qui constitue cette compensation. Nous disons : la mort a délivré un tel et nous rejoignons l’éternelle sagesse. » (p. 33) Comme pour l’ensemble de ses compatriotes, le retour au pays natal est avant tout un retour au sens : « Beaucoup de ses compatriotes, prisonniers, comme lui, revinrent au pays se retremper dans leur milieu, revivre la vie des leurs, redécouvrir un sens à leur misérable existence et à leurs émigrations périodiques. » (p. 72).
La position d’Amer au village est des plus enviables. Il rachète toutes les terres vendues par son père pour survivre et sauve « l’honneur » de sa famille. L’héritage, dans le roman de MouloudFeraoun, est important dans la mesure où il signe l’appartenance de l’individu à son groupe social comme la déshérence insiste sur la fin de cette appartenance. Ainsi, quand le père vend ses terres, il déshérite de fait son fils et, en quelque sorte, le déclare mort pour les siens. En perdant ses terres, l’émigré a perdu son Nom. Il est donc normal qu’en rachetant son héritage perdu, il rachète au même temps son droit au Nom parmi les siens :
Je ne critique pas ta situation actuelle, lui dit l’amin [le chef du village], parce que tu viens à peine d’arriver et ton passé, loin de nous, ne regarde que toi. Tu es un fils de famille, tu hérites d’un nom dans le village. C’est un héritage que tu as dédaigné longtemps mais qui est inaliénable, qui reste là à t’attendre. Maintenant que te voilà parmi nous, tu ne peux pas t’en débarrasser. (p. 42)
L’amin fait du Nom une peau de Nésus qui consume l’individualité sans qu’elle puisse s’en séparer. Le Nom est un véritable destin, une personnalité pré-établie par une mythologie et une histoire faite d’accords et de conflits qu’Amer doit assumer.
Dès lors que le fils prodigue rendosse son Nom, il découvre l’hostilité des villageois. D’abord les siens qui l’ont excommunié tacitement et qui ont convoité ses terres ; ensuite, les voisins jaloux et qui envient sa nouvelle position. Le retour d’Amer n’est jamais un retour apaisé, ni équilibré. En partant, il a définitivement coupé les liens avec sa terre et il ne peut plus se réconcilier avec elle : « Notre terre est modeste. Elle aime et paie en secret. Elle reconnaît tout de suite les siens : ceux qui sont faits pour elle et pour qui elle est faite. » (p. 162) Elle a aussi une mémoire. Qui l’a reniée une fois, elle le renie pour toujours. C’est le cas d’Amer qui « … le cœur serré, comprit qu’il aimait bien Tighezrane mais que c’était fini : ils étaient étrangers l’un à l’autre. » (p. 163) Il est vrai que le nouveau notable d’Ighil-Nezman a reconquis Tighezrane, la plus belle terre familiale, mais son bonheur est rapidement altéré. Le personnage central s’aperçoit qu’il ne peut plus la travailler comme auparavant. Aussi décide-t-il de la confier à son oncle Slimane. La séparation d’avec la terre est une séparation avec le ventre maternel.
Conscient de son exil de l’espace natal, Amer va porter son désir de s’établir dans un lieu de confiance et de chaleur. Il détourne son attention vers le sang. Son ultime quête le mènera vers sa ruine.
Amour clandestin
Il faut dire que l’entrée d’Amer dans son village s’est passée comme une infraction. Il arrive avec ses meubles parisiens faisant entrer ainsi un monde étrange(r) pour violer « l’intimité » et l’austérité de son village : « Ils [les meubles] parurent bizarrement compliqués, inutiles et encombrants. » (p. 34) La plus grande infraction reste sa femme française. Marie, dont tout le monde ignore qu’elle est la fille illégitime de Rabah et d’Yvonne, est le personnage qui engage La Terre et le Sang dans l’histoire coloniale de manière implicite. Grâce à Marie, MouloudFeraoun retourne contre les Français leur politique assimilationniste des populations « indigènes », mais avant cela, Marie lui sert à prouver que l’entente et la compréhension est possible loin du mépris de l’autre. En effet, la Parisienne cherchera d’elle-même à connaître la société d’accueil. Elle apprend rapidement la langue kabyle et adopte la même position que les femmes d’Ighil-Nezman. On est toutefois en droit de s’interroger : cette facilité, n’est-elle pas l’expression du pouvoir du sang paternel qu’elle porte en elle ? En tout cas, Marie n’aura jamais d’existence propre à elle. Elle perd son prénom et tout le monde l’appelle « Madame ». Elle n’existe donc plus que par ses liens avec son mari qui doit lui servir de transition avec ce nouveau monde. Les clichés exotiques surgissent nombreux de la bouche des Kabyles, hommes et femmes. Pourtant, Marie sera adoptée plus rapidement qu’Amer ce qui ne fait pas d’elle une fille du pays mais une étrangère pas comme les autres : « Madame n’est pas une étrangère au sens habituel du mot… » (p. 37) Dès son arrivée, la vieille Kamouma, sa belle-mère, lui jette ses nattes et lui fait un espace chaud et douillet comme le ventre maternel. Madame accepte aussitôt de s’installer dans cet espace intra-utérin. Rapidement, elle dit à son époux en pensant à la vieille Kamouma : « … allons voir ima [ma mère]. » (p. 50) Il faut dire qu’Amer est plus intempestif et plus maladroit dans sa quête d’un équilibre entre son passé d’étranger en France et d’étranger dans son village natal.
Sa soif d’équilibre et de paix le mène à commettre des folies. Maintenant qu’il a pris conscience du rejet dont il est l’objet par Tighezrane, il va porter son attention au sang familial. Amer se déclare ainsi à la quête d’un espace sacré et risque d’être la cible de toutes les passions. Cela commence avec l’amour de Chabha. La femme de son oncle Slimane, qui résiste tant bien que mal à venger le sang de son frère, tombe vite amoureuse d’Amer. Il est aussi jeune qu’elle contrairement à son mari qu’elle n’a pas choisi. Elle va chercher à vivre la passion amoureuse qu’il ne lui a pas été donné de vivre avec son époux. Amer est sourd aux conseils de Madame qui a vite compris les intentions de son amie Chabha et le prévient contre elle. Il la rassure avec des propos qui mettent en exergue la gravité de sa situation : « Je ris, je plaisante avec elle. Mais elle est sacrée pour moi. Le sang de Slimane, c’est le mien. » (p. 171) Malgré tout, il ne pourra s’empêcher de répondre aux avances de la belle Chabha. Il profane ainsi le sang familial et, comme on peut s’y attendre, devient le bouc émissaire de tout un village jaloux et parfois hargneux. Plus que cela, cette relation secrète fait du fils prodigue un clandestin dans son village natal qui ne « … reconna[ît] aucun droit aux amoureux clandestins. » (p. 202) Amer ne doit pas manifester son véritable état d’esprit, son équilibre précaire et éphémère : « Il s’agissait de ruser avec les autres, de toujours se cacher tout en multipliant les rencontres. C’était la vie ardente, la folie, l’imprudence. Il lui fallait cela pour retrouver son équilibre. Il n’avait rien connu jusque-là d’analogue. » (p. 199)
Au village, Amer tait ses opinions et ne s’exprime que rarement. Le regard des Français qu’il a fui, il le soupçonne maintenant chez les siens. Cela change complètement l’image du village kabyle dans le récit car Amer-ou-Kaci dicte au narrateur son point de vue. Les moments de tranquillité du personnage irradient le texte qui devient exaltant et indulgent envers les comportements des villageois. En revanche, Amer déstabilisé, le récit tourne à l’aigre et au blâme. En tout cas, Mouloud Feraoun profite des expériences de son personnage pour établir des tableaux des comportements sociaux et individuels à la manière de Dostoïevski.
La relation d’Amer et Chabha nous installe violemment dans l’isotopie du « sang », parallèle à et complémentaire de l’isotopie de la « terre ». Le sang, dans ce roman, est un héritage à double connotation. Il est d’abord positif mais lourd, c’est le Nom, l’histoire familiale. Il est aussi négatif. C’est le sang de Rabah versé et trahi en France et qu’Amer doit payer d’après la loi des siens : « Mais le sang ! Leur sang a coulé ! La dette existe. Il y a une victime entre vous. » (p. 118) C’est la dette qu’Amer croit effacer en « recueill[ant] » Marie, la jeune femme qui perpétue le sang de l’oncle disparu : « Le sang de Rabah revient dans celui de sa fille. Oui, il revient dans notre terre. La terre et le sang ! Deux éléments essentiels dans la destinée de chacun. Et nous sommes insignifiants entre les mains du Tout-Puissant. » (p. 126) Le sang est enfin le signe exposé au feu de la passion et dont l’afflux est incontrôlable. Il apparaît donc que l’isotopie du « sang » est celle d’une double loi : la Loi établie par le groupe et la loi que veut établir Amer, pour retrouver son équilibre, avec la complicité de Chabha. Mais ce sont-là deux lois antagonistes car la seconde rompt la première et condamne Amer à son ultime exil :
Comment dire tout ce qu’il imagina, tous les raisonnements qu’il se tint, son repentir, ses colères, ses craintes, ses scrupules d’homme sage, de notable du village ? Mais il y avait aussi ce bonheur intense et fou qui s’était emparé de sa chair, de son sang et que toute la logique du monde ne pouvait apaiser. (p. 196)
Le début de sa relation amoureuse avec Chabha est marqué par des manifestations symboliques et occultes prémonitoires comme l’apparition de Rabah-ou-Hamouche ou « … le portail de Hocine qu’ils avaient dépassé de quelques mètres [et qui] grinça avec une musique bizarre qui pouvait évoquer un sifflement étonné, un rire méchant ou un cri de stupeur. Il se retournèrent vivement mais ils eurent beau écouter : le portail resta immobile et ils n’entendirent aucun pas. » (p. 195) Le récit de Feraoun s’oriente souvent vers l’autre monde, vers le point d’arrivée de sa destinée, et s’enracine dans le mystère qui exile le lecteur au même temps qu’il convoque la tentation universelle de donner sens à ce qui en est dépourvu a priori.
C’est donc une relation condamnée à se terminer tragiquement qui est vécue par Amer. Avant d’en arriver-là, il revit la même expérience de rejet qu’il a eue avec la terre. En effet, il éprouve pour Chabha un « sentiment intermédiaire difficile à définir… » (p. 173), celui du non-lieu, de l’entre-deux. Et c’est dans ce vide qu’Amer veut construire l’expérience qu’il lui manquait, l’attachement réciproque avec son espace natal. Cette position intermédiaire le situe donc comme étranger mais qui ne mérite pas l’indulgence des siens car il connaît leurs lois, une posture extérieure-intérieure explicitée par la vieille Kamouma qui dit à Madame : « S’il était resté en France, pour Kamouma il était perdu mais personne ne serait allé lui demander son sang. Maintenant qu’il est près du piège, tu dois veiller autant que lui. » (p. 224)
Rejeté par sa terre, rejeté par son sang, Amer a le sentiment d’être comme Marie, un être désincarné, dépouillé de son identité et assis entre-deux chaises. « Il lui semblait qu’ils formaient tous deux un couple étrange, ridicule, qu’il avait perdu à côté d’elle son caractère de Kabyle et qu’elle n’avait plus celui de Française. » (p. 95-96)
La Terre et le Sang ont établi leur Loi et c’est elle qui sera appliquée. Cela se manifestera par le retour de l’œuvre au motif du crime originel à travers la métaphore de « l’œil blanc » qui pend de la tête de Rabah écrasée par le train. Ce motif se répétera dans la mort d’Amer. Surpris à son insu avec Chabha par Slimane, celui-ci se venge en piégeant son neveu et rival dans une carrière où il fait exploser une mine. Slimane y perdra la vie aussi puisque sa tête est écrasée par un gros rocher. L’œil d’Amer, cet organe qui cherche et guide, métaphore de la circularité du récit, devient blanc. La désincarnation est totale ; la page est blanche. Dans sa mort, le visage d’Amer devient le lieu symbolique des retrouvailles de la terre et du sang – comme lien de filiation et comme dette enfin effacée : « Amer avait la figure barbouillée de terre et un gros caillot sur la tempe. […] Il était mouillé, souillé de terre, de sang, de sueur qui le rendaient affreux à voir. » (p. 241) Cette mort est une « délivrance » et sa monstruosité est à la hauteur de la violence de la rétention des désirs de s’établir quelque part, pour Amer, et de se venger, pour Slimane. L’émigré Amer rejoint les ancêtres dont il prouve l’infaillibilité de leur sagesse. Elle est une délivrance et non une perte comme ce sang qui s’échappe des claies pour être absorbé par la terre : « Le sang dégoulinait à travers les roseaux, du sang épais et noir qui s’était caillé sous les habits, dans le dos, et qui avait trouvé une issue pour s’échapper » (p. 243) retournant tragiquement dans le ventre maternel.
Finalement, le retour au meurtre originel est l’initiation d’un parcours palingénésique. Quand Chabha vient se recueillir sur le corps de son amant, Marie sent pour la première fois bouger l’enfant qu’elle porte dans son ventre. Si la mort d’Amer signe l’échec de l’assimilation de Marie qui se sent d’un coup étrangère au monde où elle se trouve, c’est sa main qui met fin au récit. Elle deoit en effet répéter un code local qui annonce qu’elle est enceinte. Cette fois-ci, Madame accepte en elle la Kabylie dont elle devient une fille active puisqu’elle compte participer à sa construction par le métissage et non plus par la force coloniale ou par la clandestinité des étrangers. Amer, lui, aura vécu deux fois le même destin d’étranger comme si, en s’engageant dans cette voie, il était impossible de s’en sortir indemne.
[1]MouloudFeraoun, La Terre et le Sang, Paris, Editions du Seuil, coll. Points, 1953 et 1961 pour la préface d’EmmanuelRoblès.
[2]Mouloud Mammeri, La Colline Oubliée, Paris, éd. Plon, 1952.
[3] Proverbe kabyle.
Je veux le résumé de le troisième chapitre svp de la terre et le sang