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Les rires du texte, Mohamed Fellag

Mohammed Fellag, Le rire du peuple

Fellag, le rire du peuple : une vie, des spectacles

par Jessica Falot

 

Mohamed Saïd Fellag est un comédien, écrivain et humoriste, né en 1950 en Kabylie.

Après des études à l’école de théâtre d’Alger où il y découvre l’humour de l’absurde, il est engagé comme comédien dans différents théâtres en Algérie et à l’étranger. En 1985, il revient au pays et met en scène une pièce de théâtre intitulée Les Aventures de Tchop, puis en 1989, son premier spectacle vraiment populaire, Cocktail Khorotov.

Fellag est alors le premier comédien à oser plaisanter en public du président algérien, de la sécurité militaire et du sexe. Il va même jusqu’à supplier les femmes, alors que les militaires et le président algérien sont présents dans la salle, de pardonner aux hommes. « Excusez-nous. Maintenant vous pouvez vous habiller comme vous voulez. Vous pouvez même ne pas vous habiller du tout ». Pas un homme n’applaudit à la fin de cette représentation !

Dans un pays où il n’est pas facile de contester, son franc-parler est une véritable innovation

«A tous les niveaux, son numéro rompait avec les usages. Nous exigions par exemple que les dignitaires du FLN ou les ministres, habitués à tous les passe-droits, fassent la queue comme tout le monde», se souvient Mustapha Laribi, le directeur du théâtre. Son spectacle est même diffusé à la télévision nationale, symbole absolu de la langue de bois officielle. Partout où la chaîne est captée au Maghreb, des auditeurs appellent le théâtre pour demander s’il n’y a pas eu un coup d’Etat à Alger tellement une telle retransmission leur paraît impensable.

Mais Fellag continue de dénoncer : l’arrêt du processus électoral, le début de la crise ; rien ne l’arrête. Il rajoute, au contraire, les islamistes et l’armée au programme.

En 1991, alors que l’activisme islamiste gagne tout le pays, il crée Babor Austalia en s’aspirant d’une rumeur selon laquelle un bateau en provenance d’Australie allait y emmener tous les chômeurs algériens, pour leur donner un emploi, un logement et un kangourou ! La rumeur prit une telle ampleur que des gens se présentèrent devant l’ambassade d’Australie pour demander un visa. Le spectacle remporte un large succès. Mais au même moment commence la guerre civile, avec une série d’assassinats parmi lesquels des artistes et des intellectuels. Malgré la pression, Fellag résiste et continue de se produire sur scène et de multiplier les initiatives créatrices. Mais tout s’écroule en 1995 lorsqu’une bombe éclate pendant son spectacle. Elle avait été déposée dans les toilettes pour femmes, là où les filles vont fumer en cachette. Terriblement bouleversé, il décide alors de s’exiler en France.

Il y écrit Djurdjurassique bled (1998), un one man show qui dresse avec humour et émotion le portrait d’une Algérie où, depuis l’aube des temps, rien ne marche. Ce spectacle lui vaut le Grand Prix de la critique théâtrale et musicale. Puis, il retravaille Babor Australia qui devient Un Bateau pour l’Australie, une véritable épopée de l’Algérie des cinquante dernières années et entame en 2001 une tournée dans toute la France. En 2003, il reçoit le prix Raymond Devos et crée Le dernier chameau dont la tournée s’achève en avril 2006 avec un total de 70 000 spectateurs. Un bouquet d’histoires dont le point de départ est l’étonnement de Rachid, un petit Algérien de cinq ans qui voit débarquer dans ses montagnes de Kabylie un bataillon de tirailleurs sénégalais. Lui qui croyait que les Français avaient la peau blanche !

Actuellement, Fellag se consacre au cinéma. Ses spectacles, eux, sont disponibles en DVD.

Une écriture de la fragilité 

Si Fellag avoue avoir des difficultés à écrire de nouveaux sketches à cause de son exil : « je ne connais plus leur vie de tous les jours. Cette parole me manque pour écrire des sketches qui révèlent les blessures de la société algérienne » cette même mise à distance le pousse à créer autrement, par le biais de la nouvelle : « le manque fait que j’essaye d’aller dans ma mémoire pour essayer de retrouver les choses vraiment fortes, celles qui sont là tous les jours et qui seront encore là dans 20 ans[1]. »

En 2001, il publie donc son premier recueil, Rue des Petites Daurades, une série de récits aussi drôles que tragiques : Farid et son rêve d’une maison au soleil, Akli, le trop généreux patron du bar Les Champs-Alizés ou encore le faux raciste, Georges.

En 2002 apparaît C’est à Alger : cinq nouvelles qui font découvrir la tragédie algérienne de cette fin de XX siècle comme celle de Mouh, un jeune garçon naïf de Bab El Oued, qui se retrouve pris dans les filets de la police pour s’être fait « piégé par le mécanisme de l’humour » (p. 32).

L’écriture romanesque de Fellag se fait plus précise, plus émotive et s’appuie fortement sur des techniques scénographiques. Dépourvus de description, les personnages sont des êtres fragiles qui se retrouvent face à des sentiments immenses tels que l’amour et la mort dans leur vie quotidienne. L’auteur reconnaît d’ailleurs vouloir créer un lien entre ses pièces et ses romans : « Je parle toujours du choc de la puissance sur la fragilité. Ça doit permettre aux gens qui connaissent mon théâtre d’aller plus loin, de comprendre comment les choses se passent ».

Son humour satirique renaît, quant à lui, dans un ouvrage intitulé Comment réussir un bon petit couscous, paru en 2003 dans lequel il dresse un portrait ethnologique, linguistique, géo-politique et psychanalytique des peuples de ce qu’il nomme « la zone couscous » accompagné de deux recettes.

Un héros populaire  

Sa notoriété surprenante fait que Fellag est bien plus qu’un simple humoriste en Algérie, c’est un véritable héros populaire et chaque algérien connaît par cœur certaines répliques et les cite au détour d’une conversation, la plus connue étant peut-être « Partout dans le monde, quand un pays touche le fond, il finit par remonter… Nous, les Algériens, on creuse ». Sa blague préférée, classique de l’humour algérien, est la suivante :

C’est l’histoire d’un type qui tombe amoureux d’une voisine. Il la suit de loin, sans lui adresser la parole, prenant garde qu’elle ne le remarque pas. Il ne fait plus que ça, pendant des mois. Un jour, dans la rue, il la voit soudain faire la bise à un garçon. Alors, il se rue sur l’inconnue et hurle: « Maintenant, entre toi et moi, c’est fini.

Ses premiers fans sont les femmes qui constituent environ 80% de son public. Elles aiment particulièrement sa façon de parler de sexe. « Il est le seul que j’ai jamais vu parler de cul autrement qu’entre hommes, à voix basse, dans la pièce à côté », explique une institutrice algéroise.

Pourtant cette liberté de parole qui apporte une grande bouffée d’air au public sert également de thérapie pour les Algériens qui voient en lui « le premier psychiatre du pays». En effet, il leur donne une leçon de lucidité par rapport à la société algérienne à travers des personnages confrontés aux difficultés sociales : crise immobilière, taux de chômage important, frustration sexuelle : « Nos dirigeants sont coupables de ne pas aimer ces jeunes gens-là, beaux, pleins d’énergie. C’est tout ce manque d’amour qui produit l’érection des Kalachnikov ».

Mais si chacun de ses sketches part d’une angoisse, la suite est une histoire d’humour qui, selon lui, sera toujours le meilleur remède à l’Histoire :

Mon humour appartient au monde d’où je viens, qui contient de l’espoir dans la désespérance […] J’essaye toujours de forer dans ce bloc compact qui entoure la société algérienne. Les trous permettent aux gens qui sont à l’intérieur de respirer. Et ceux qui sont à l’extérieur peuvent voir et entendre ce qui s’y passe : les cris, l’espoir, les rires et les tragédies.

Pas de meilleure conclusion que celle là.

 


[1] Toutes les citations sont tirées d’une interview de Fellag disponible sur le site : matoub.kabylie.free.fr.

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