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Littérature et sexualité, Nina Bouraoui

Littérature et sexualité : présentation du dossier

Sexualité : projection de l’instance sensorielle en terres littéraires

par Sandrine Meslet

Choisir d’aborder le thème de la sexualité dans la littérature semble un projet démesurément grand, ou bien démesurément indécent, dans le cadre d’un projet visant la promotion des littératures francophones. Cependant il nous faut être honnête et admettre que notre article se contentera ici d’aborder quelques aspects que la dimension sexuelle peut prendre au sein du texte francophone, corps de toutes les souffrances et de toutes les projections.

Corps en souffrance, mutilé, ou bien entièrement tourné vers la reconstruction, le corps francophone se cherche en tout aspect, en toute cause. Il n’est plus simplement un corps imprégné d’âcres odeurs sexuelles, il devient lui-même le sexe. Entre revendication, dispersion, dissonance le corps-sexe francophone prend des allures anamorphiques de sujets en crise, en dérive, en réminiscence. Nous voyons d’ailleurs dans les articles consacrés respectivement à Biblique des derniers gestes de Patrick Chamoiseau ainsi qu’aux Nuits de Strasbourg d’Assia Djebbar, combien cette représentation de la sexualité comme corps à soutenir, à construire est mise en balance créative. Va-t-il surgir par l’écriture ou se (con)fondre dans l’abîme textuel ? Question qui ne peut se résoudre en une seule réponse, mais achemine notre raisonnement vers la perpétuité de cette construction poético-sexuelle ; terrain incongru d’un corps en quête d’unité, enfin réuni sous l’adéquation de la sensation et du ressenti. Car écrire ne résout rien, l’écriture éprouve l’homme en le plongeant dans le gouffre du possible de ses désirs, elle naît d’un débordement, d’un épanchement, d’un écoulement sanguin du cœur, mais aussi du sexe. Ainsi en est-il du corps d’Héloïse, personnage féminin du roman de Marie-Claire Blais Une saison dans la vie d’Emmanuel, qui apparaît tenaillé par le chant du désir alors qu’elle souhaite entrer dans les ordres. La passion d’Héloïse pour le Christ est d’ordre charnel, le désir de son corps est largement explicité, il semble chercher les moindres interstices de plaisir dans une danse nocturne intense et fébrile.

Comme elle l’avait fait autrefois, dans la solitude de sa cellule, elle allait s’offrir encore au Bien-Aimé absent qui laisserait en elle ces stigmates de l’amour dont elle garderait le secret. […] « Qu’il me prenne qu’il me prenne enfin et je vais défaillir. » Mais quelques instants plus tard, elle luttait contre l’Epoux vengeur qui mordait sa bouche et la rejetait sur le lit avec la même violence dans laquelle il l’avait prise ─ et se plaignant à voix basse, elle regardait ses seins délaissés, son ventre candide et attendait que se referment les nocturnes blessures de son corps vaincu[1].

Cependant l’écriture présente aussi les tenants d’un remède, qui viendrait combler le désir, avec l’espoir d’une auto-suffisance du corps textuel et dans la possibilité d’une substitution au corps charnel. C’est le choix du personnage-narrateur du roman Mes mauvaises pensées de Nina Bouraoui, dans lequel l’action de remplir le vide ne peut se faire que par le corps sujet au manque. S’auto combler par l’écriture revient à considérer le texte comme tentative de délier la spirale des désirs.

[…] il y a une écriture qui se forme dans ce lien, une écriture fine et pure, une écriture du cœur ; je ne me suis jamais sentie aussi bien dans un pays, dans une communauté, je ne me suis jamais sentie bien en moi-même puisque je suis pleine de moi ; dans cette semi-solitude, je suis en paix, il n’y a plus de colère en moi, je suis faite d’une seule partie, je me resserre, je me retrouve[2].

En donnant naissance au texte, le corps projette le désir et ses aspects inassouvis, lesquels s’accomplissent dans l’écriture et ses replis :

Je ne me suis pas remise de cela, vous savez. L’écriture vient de là. Je n’ai aucun désir du monde ; je ne pouvais qu’écrire en retrait, seule, penchée sur mon bureau, seule avec les spirales de mots ; l’écriture c’est la terre, c’est l’Algérie retrouvée, c’est l’état sauvage aussi : tout mon amour pèse sur ma main qui écrit, j’écris ce que j’aurais dû vivre : je couvre la terre quittée[3].

L’écriture concentre les manquements du corps en les projetant visiblement et sans peur ; deux notions vides écriture et désir, en quête de complétude, se rencontrent dans l’espace textuel pour y décrire la déchirure et la richesse du besoin. L’étrange pouvoir des mots évoquent le paradoxal désir qui n’existe que dans la recherche de sa propre représentation.

La sexualité n’est au demeurant que l’objet par excellence du désir, elle incarne dans le champ de la littérature l’impossible détour vers le lieu du corps devenu point charnel et textuel. Le sexe et la sexualité sont bien plus que des motifs transgressifs au sein du texte, ils se déclinent pour mieux approcher l’identité du corps textuel, ils permettent à la littérature de se représenter charnellement pour mieux s’envisager textuellement. Pareil à ceux qu’il tente d’approcher et de séduire, le texte « amant des mots » s’imprègne, se plie, se tord à leur contact et fait de l’espace littéraire le champ d’un désir représenté comme fascinant, délirant, définitivement enivrant.


[1] Une saison dans la vie d’Emmanuel, Paris, « Points Seuil », p.101

[2] Mes mauvaises pensées, Paris, Stock, 2005, p.195

[3] Mes mauvaises pensées, Paris, Stock, 2005, p.201

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