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Chronique/actualité

L’unicité par le tiers

Le mal-être de l’hybride ou l’unicité par le tiers

par Ali Chibani

L’un des mots les plus exploités par le monde politico-médiatique et qu’on retrouve dans le discours commun est « intégration ». L’échec et la violence des uns sont dus à leurs difficultés à s’intégrer ; le succès des autres s’explique par une intégration réussie. Nous n’avons pas besoin d’occuper beaucoup d’espace pour prouver le caractère simpliste de cette explication. En effet, dès lors qu’un groupe porte un jugement, fût-il négatif, sur un individu, ce dernier peut être considéré comme intégré et agissant sur le groupe. Il vaudrait mieux parler, dans ce cas, d’une différence de considération.

Mais allons dans le sens contraire des courants de la pensée dominante pour nous intéresser à la violence exercée par le(s) groupe(s) sur l’individu, et plus particulièrement sur les êtres hybrides. Ces derniers sont toujours, pour les autres, dans l’altérité, c’est-à-dire qu’ils ne sont jamais à l’intérieur d’un groupe mais toujours à l’extérieur. Prenons le cas de  Taos Amrouche. Cette romancière algérienne, de nationalité française, n’a jamais pu se situer dans un groupe précis. Ses romans témoignent de son mal-être. Pour les Français, elle est « l’Antigone berbère », « la reine Néfertiti »… Pour les Algériens, puis les Tunisiens, elle est perçue comme une Française car elle est chrétienne et parle aussi bien le français que le berbère. Son refus d’être assimilée, donc d’être mangée, pour employer la terminologie de Bataille, par la France et de se soumettre aveuglément aux traditions kabyles a fait d’elle une paria dans les deux sociétés. Car, ce qui perdure encore aujourd’hui, nulle culture ne peut accepter d’être considérée comme imparfaite ; nulle culture ne peut souffrir d’être complétée et améliorée par une autre. Chaque société parle d’exception et se pose en modèle.

 

Comment dépasser la crise ? Plusieurs réponses s’offrent à nous. La première de ces réponses et de se bander les yeux, se laisser assimiler ou se renfermer sur soi, et vivre comme une bête qui ne cherche que la chaleur du troupeau. La seconde est la violence. Parler ne servant à rien dans le tumulte des uns et des autres, on cherche à faire voir et entendre sa détresse en cassant, en brûlant ou en agressant. Alors, on aggrave son cas puisque les uns brandiront là la preuve de cette différence et que les autres diront « avoir honte » de ressembler à de tels hors la loi. La dernière réponse est celle adoptée par une grande partie des écrivains. De Taos Amrouche à Nina Bouraoui, c’est l’espace-tiers qui est considéré comme un refuge. L’Afrique, pour la première, et Rome pour la seconde, représentent ce « tiret » qui lie les deux côtés de leur identité. Disons qu’avec elles, il ne faut pas écrire Franco-algériennes mais FrancoAfriqueAlgérienne ou FrancoRomAlgérienne. L’espace-tiers peut aussi être signifié par la langue comme c’est le cas chez Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau ou Tierno Monénembo. Abdelwahab Meddeb et Rachid Boudjedra intègrent de l’arabe dans leurs romans en français comme pour matérialiser la crise inscrite au plus profond d’eux-mêmes faisant du livre cet espace salvateur. Amin Maalouf, lui, cherche des corps-personnages qui lui donnent la preuve d’une possibilité d’être dans tous les espaces, que la violence historique vécue par les personnages hybrides aboutit à une victoire sur le monde, victoire incarnée par un livre, les Quatrains de Omar Khayyam ou l’autobiographie imaginée de Léon l’Africain. Le livre, c’est l’immortalité. Jean Amrouche, enfin, a fait de son propre corps cet espace-tiers puisqu’il n’avait cesse de dire : « je pense en français et je pleure en kabyle. »

La question qui se pose à nous aujourd’hui porte sur le dépassement de LA nationalité culturelle. Quel sens peut-elle avoir dans un monde où les langues circulent librement, où les frontières tendent à s’estomper ? Pour que nous puissions tous avoir notre part dans ce monde, il faudrait que chacun de nous se pose comme l’origine potentielle de la violence, mais aussi du bien-être, des autres.

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